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[2012] 2 R.C.F. 508

DES-1-10

2010 CF 1106

Le procureur général du Canada (demandeur)

c.

Abdullah Almalki, Khuzaimah Kalifah, Abdulrahman Almalki, représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, Sajeda Almalki, représentée par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, Muaz Almalki, représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, Zakariyy a Almalki, représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, Nadim Almalki, Fatima Almalki, Ahmad Abou-Elmaati, Badr Abou-Elmaati, Samira Al-Shallash, Rasha Abou-Elmaati, Muayyed Nureddin, Abdul Jabbar Nureddin, Fadila Siddiqu, Mofak Nureddin, Aydin Nureddin, Yashar Nureddin, Ahmed Nureddin, Sarab Nureddin, Byda Nureddin (défendeurs)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Almalki

Cour fédérale, juge Mosley—Toronto, 6 avril; Ottawa, 23 juin; à huis clos, 19 et 21 avril, 3, 4, 5 et 11 mai et 24 juin; Vancouver, 8 novembre 2010.

* Note de l’arrêtiste : Cette décision a été infirmée en appel (A-428-10, 2011 CAF 199). Voici la référence de publication des motifs du jugement qui ont été prononcés le 13 juin 2011 : [2012] 2 R.C.F. 594.

Preuve — Demande d’ordonnance en vertu de l’art. 38.06(3) de la Loi sur la preuve au Canada pour confirmer l’interdiction légale de divulgation de renseignements qui font l’objet d’un processus d’enquête préalable dans le cadre d’une cause civile devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario — Les défendeurs réclamaient des dommages-intérêts à l’égard de leur détention, de leur torture et de la violation des droits que leur garantit la Charte canadienne des droits et libertés — Des renseignements avaient été expurgés de nombre de documents divulgués par le demandeur dans le cadre de l’action au motif qu’ils étaient susceptibles de porter préjudice aux intérêts nationaux protégés — De même, le demandeur avait communiqué par inadvertance un rapport établi par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) sans caviardage — Les défendeurs ont saisi la Cour supérieure de justice d’une requête exigeant la production de documents sans caviardage — En l’espèce, il s’agissait de savoir si la Cour devait s’en remettre à la Cour supérieure de justice et si l’interdiction légale de divulgation de renseignements prévue à l’art. 38.02(1)a) de la Loi devrait être confirmée conformément à l’art. 38.06(3) de la Loi — Le législateur fédéral ayant attribué la compétence de trancher les questions visées aux art. 38 à 38.16 de la Loi exclusivement à la Cour fédérale, la question de savoir si la Cour devait s’en remettre à la Cour supérieure n’était donc pas pertinente — S’agissant de l’interdiction légale de divulgation de renseignements, l’analyse en trois étapes énoncée dans Ribic c. Canada (Procureur général) a été appliquée — 1. La majorité des renseignements expurgés étaient pertinents en ce qui concerne les actions civiles principales — 2. Aucun préjudice n’avait été établi relativement à certains documents expurgés — La Cour a ordonné la communication de ces renseignements — Le fait que l’évaluation de la probabilité de préjudice ne soit pas effectuée personnellement par le demandeur mais plutôt par un fonctionnaire d’un ministère n’a aucune incidence sur la question de savoir s’il convient de faire preuve de retenue à l’égard de pareille évaluation — L’examen des documents en l’espèce a été effectué convenablement — Le maintien de l’efficacité du Canada en matière de relations internationales et d’enquêtes de sécurité et les conséquences qu’aurait sur les relations internationales du Canada un refus, sanctionné par un tribunal, de communiquer des éléments de preuve portant sur une violation de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ont également été examinés et pris en compte — 3. Lorsqu’un préjudice a été établi, la Cour se penche sur la question de savoir si l’intérêt public milite en faveur de la divulgation et, si oui, si le préjudice peut être neutralisé au moyen de la divulgation de ces renseignements sous forme de résumé — Enfin, la communication par inadvertance du rapport du SCRS n’emporte pas renonciation au privilège; les renseignements en cause sont assujettis à la même analyse en trois étapes en vertu des art. 38 à 38.16 — La divulgation de certains passages expurgés ne causerait pas de préjudice et l’intérêt public militait en faveur de la divulgation d’autres passages — Demande accueillie en partie.

Compétence de la Cour fédérale — Les défendeurs soutenaient, dans le cadre d’une requête présentée en vertu de l’art. 38.06(3) de la Loi sur la preuve au Canada en vue de confirmer l’interdiction légale de divulgation de renseignements, que la Loi ne dépouillait pas les cours supérieures provinciales de la compétence d’instruire des instances civiles en matière de communication de renseignements — Il s’agissait de savoir si les documents qui font l’objet d’une revendication de privilège devraient être soumis à la Cour supérieure de justice — Le législateur fédéral a attribué la compétence de trancher les questions visées aux art. 38 à 38.16 de la Loi exclusivement à la Cour fédérale — Les préoccupations sur l’expertise, l’uniformité et la sécurité des renseignements sous‑tendent l’octroi d’une compétence exclusive en la matière à la Cour fédérale.

Renseignement de sécurité — L’art. 18(1)b) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité n’empêche pas d’identifier l’employé qui pourrait à l’avenir être appelé à exercer des activités cachées si la preuve appuie la prétention qu’il y a eu un délit civil a été commis ou violation de la Charte canadienne des droits et libertés — Parce que la méthode de caviardage suivie par le Service canadien du renseignement de sécurité est trop large, le privilège lié à l’intérêt public visant la protection de l’identité des sources humaines ne s’applique pas dans chaque cas.

Il s’agissait d’une demande d’ordonnance en vertu du paragraphe 38.06(3) de la Loi sur la preuve au Canada pour confirmer l’interdiction légale de divulgation de renseignements qui font l’objet d’un processus d’enquête préalable dans le cadre d’une cause civile.

Les défendeurs principaux, Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin, avaient intenté des actions devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour réclamer des dommages-intérêts compensatoires du gouvernement du Canada pour la présumée complicité de ce dernier à l’égard de leur détention et de leur torture en Syrie et en Égypte et de la violation des droits que leur garantit la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Après que les parties ont convenu de recourir à la médiation, le demandeur a communiqué aux avocats des défendeurs 486 documents, dont 290 étaient caviardés; on avait expurgé des passages dont on affirmait qu’ils étaient susceptibles de porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales. Lorsque les documents ont été produits, aucun avis n’avait été donné conformément à l’article 38.01 de la Loi au sujet des renseignements censurés et aucune décision n’avait été prise par le demandeur sur l’opportunité de divulguer les renseignements. Les représentants des ministères et des organismes travaillaient avec l’équipe du contentieux qui représentait le demandeur en vue de passer en revue les documents devant être produits. De même, un rapport (appelé le document 171) établi par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a été communiqué aux défendeurs par inadvertance sans caviardage, mais il n’a pas été rendu au demandeur. Selon les défendeurs, ce document devrait être qualifié de « document divulgué ». Par la suite, les défendeurs ont saisi la Cour supérieure d’une requête visant l’obtention d’une ordonnance exigeant la production des documents sans caviardage.

Les défendeurs ont affirmé que les questions relatives à la divulgation des renseignements qui font l’objet d’une revendication de privilège devraient être tranchées par la Cour supérieure. Ils soutenaient que le législateur fédéral ne pouvait constitutionnellement dépouiller les cours supérieures provinciales de la compétence d’instruire des instances civiles en édictant les dispositions applicables de la Loi sur la preuve au Canada. De plus, les défendeurs ont fait valoir, entre autres, que comme l’évaluation de la question de savoir si la divulgation entraînerait un préjudice avait été déléguée à des fonctionnaires du ministère de la Justice et d’autres ministères, la Cour devrait réduire, voire éliminer, la retenue dont elle devrait faire preuve relativement à l’appréciation du risque faite par le demandeur.

La question à trancher était celle de savoir si la Cour devait s’en remettre à la Cour supérieure de justice en ce qui concerne l’examen des documents et des privilèges revendiqués, et si l’interdiction légale de divulgation de renseignements qui est prévue à l’alinéa 38.02(1)a) de la Loi devrait être confirmée conformément au paragraphe 38.06(3) de la Loi.

Jugement : la demande doit être accueillie en partie.

Pour ce qui est de la question de savoir si la Cour doit s’en remettre à la Cour supérieure de justice, le fait que les défendeurs préfèrent que les questions visées aux articles 38 à 38.16 soient tranchées par la Cour supérieure n’avait aucune pertinence sur le plan juridique. Le législateur fédéral a attribué cette compétence exclusivement à la Cour fédérale. Il s’agissait d’un aspect important de la décision du législateur fédéral de donner suite aux recommandations de la Commission d’enquête concernant certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada au sujet des décisions portant sur les questions de privilège d’intérêt public ressortissant à la sécurité nationale. La sécurité matérielle de ces renseignements constituait l’une des raisons pour lesquelles le législateur fédéral a choisi de centraliser les décisions portant sur la divulgation de renseignements potentiellement préjudiciables en les confiant à la Cour fédérale. Les préoccupations portant sur l’expertise, l’uniformité et la sécurité des renseignements continuent à sous‑tendre l’octroi, aux articles 38 à 38.16, d’une compétence exclusive en la matière à la Cour fédérale.

Pour ce qui est de la question de savoir si l’interdiction légale de divulgation de renseignements devrait être confirmée, la Cour a appliqué aux renseignements en cause l’analyse en trois étapes énoncée dans l’affaire Ribic c. Canada (Procureur général) pour trancher cette question.

1. Les renseignements en question étaient-ils pertinents par rapport aux actions principales?

En appliquant la norme de la pertinence étant donné qu’elle se rapporte à la communication de la preuve dans un litige civil, la Cour a été convaincue que, dans l’ensemble, les renseignements expurgés étaient pertinents en ce qui concerne les actions civiles principales.

2. La divulgation des renseignements porterait-elle préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales?

Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer l’existence d’un préjudice à l’égard de certains des renseignements expurgés. Ces renseignements devaient être communiqués. Le texte qui suit présente certaines des questions qui ont été prises en compte suivant la deuxième étape du critère exposé dans la décision Ribic.

Le fait que l’évaluation de la probabilité de préjudice ne soit pas effectuée personnellement par le demandeur mais plutôt par un fonctionnaire d’un ministère n’a aucune incidence sur la question de savoir s’il convient de faire preuve de retenue à l’égard de pareille évaluation. L’article 38.01 de la Loi a été délibérément rédigé de façon large pour permettre de donner un avis portant que des renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables risquent d’être divulgués par un « participant » ou par un « fonctionnaire ». Il est inexact de présumer que le terme « fonctionnaire » s’entend uniquement d’un employé d’un des ministères ou des organismes qui sont des clients des services juridiques du ministère de la Justice. La loi ne prévoit pas de procédure qui permet de faire état de l’existence de renseignements sensibles ou de renseignements potentiellement préjudiciables sur simple avis adressé par un fonctionnaire qui est un employé d’un ministère autre que le ministère de la Justice. Le membre d’une équipe du contentieux agissant pour le compte du demandeur est un « participant » qui peut donner un tel avis, ce qui n’empêche pas pour autant un fonctionnaire qui ne participe pas au litige mais qui est par ailleurs employé du ministère de la Justice de donner cet avis. Bien que l’exception prévue à l’alinéa 38.01(6)c) permette à l’institution fédérale qui a produit les renseignements ou pour laquelle ils ont été produits d’autoriser leur divulgation, cette disposition vient compléter le régime général dans le cadre duquel le demandeur peut autoriser la divulgation. Il n’y avait rien d’irrégulier à faire organiser par les membres de l’équipe du contentieux le processus par lequel les documents seraient examinés par les fonctionnaires du ministère. Il convenait aussi qu’ils procèdent à l’identification initiale des documents pouvant contenir des renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables. C’est au demandeur qu’il revient en fin de compte de formuler ces revendications par le truchement des fonctionnaires qu’il délègue. S’agissant des documents communiqués par inadvertance, le régime législatif prévoit le recours à la procédure d’envoi d’un avis, que ces renseignements aient déjà été divulgués ou non. Il revient ensuite à la Cour de déterminer si la divulgation passée vicie ou mine l’argument relatif à l’existence d’un préjudice ou, si, à tout prendre, l’intérêt public milite en faveur de la divulgation.

La divulgation de renseignements obtenus d’autres gouvernements préoccupaient les autres ministres ou organismes en cause. Ces craintes n’étaient pas sans fondement puisque le maintien de l’efficacité du Canada en matière de relations internationales et d’enquêtes de sécurité constitue un intérêt public d’une très grande importance. Cela dit, il est important d’examiner les conséquences qu’aurait sur les relations internationales du Canada un refus, sanctionné par un tribunal, de communiquer des éléments de preuve portant sur une violation de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, notamment d’éléments de preuve démontrant qu’il y a eu torture ou complicité à cet égard. Cette proposition va dans le sens des obligations imposées au Canada par la Convention. Cependant, la reconnaissance de l’importance de ces obligations n’exclut pas l’examen par la Cour de la question de savoir s’il peut exister d’autres moyens de divulguer les renseignements sous une forme, comme un résumé, qui minimiserait le préjudice.

Le fait que le demandeur a invoqué l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité n’empêche pas en soi d’identifier l’employé qui pourrait à l’avenir être appelé à exercer des activités cachées. Mais la Cour doit prendre acte du fait que des employés du SCRS peuvent être appelés à exécuter des activités cachées qu’ils l’aient fait ou non dans le passé. Si la preuve appuie la prétention que des employés du SCRS ont commis contre les défendeurs un délit civil ou ont violé la Charte, la Cour doit également tenir compte de leur droit de désigner les employés comme défendeurs individuels et de chercher à obtenir la communication préalable de documents et de renseignements.

L’identité des sources humaines et les renseignements qui tendraient à les identifier font l’objet d’un privilège lié à l’intérêt public. Cependant, parce que la méthode de caviardage suivie par le SCRS est trop large, ce privilège ne s’applique pas dans chaque cas aux personnes qui fournissent des renseignements au SCRS.

3. L’intérêt public militait-il en faveur de la divulgation ou de la non-divulgation?

Lorsque le préjudice a été établi, la Cour s’est penchée sur la question de savoir si les défendeurs avaient démontré ou non que l’intérêt public militait en faveur de la divulgation. Si tel était le cas, elle s’est demandé si le préjudice pouvait être neutralisé au moyen de la divulgation de ces renseignements sous forme de résumé ne révélant pas des renseignements particulièrement sensibles comme le nom de représentants ou d’organismes étrangers.

Le rapport du SCRS (document 171)

La divulgation du rapport du SCRS (document 171) n’était pas délibérée et les circonstances de la communication des renseignements en question n’emportent pas renonciation au privilège revendiqué. Les renseignements en cause qui se trouvent dans ce document sont par conséquent assujettis à la même analyse en trois étapes que les autres renseignements en litige. La divulgation de certains des passages expurgés du document ne causerait pas de préjudice. En ce qui concerne d’autres passages, l’intérêt public militait en faveur de leur divulgation.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b), 7, 24(1).

Classified Information Procedures Act, 18 U.S.C. App. III, §§ 1 à 16 (1980).

Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n1) [L.R.C. (1985), appendice II, n5], art. 96.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 24(2) (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 89).

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 37 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 140), 38 « renseignements potentiellement préjudiciables » (édicté, idem, art. 43), « renseignements sensibles » (édicté, idem), 38.01 à 38.16 (édictés, idem, art. 43, 141), 39 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144).

Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, ch. E-10, art. 36.2 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 111, art. 4, ann. III).

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21), 23 (mod., idem, art. 29; 2001, ch. 4, art. 47), 27 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 31), 34 (mod., idem, art. 32; 2006, ch. 11, art. 18).

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 13 (mod. par L.C. 2005, ch. 1, art. 107; ch. 27, art. 16, 22; 2006, ch. 10, art. 32; 2008, ch. 32, art. 26), 15.

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 18.

National Security Information (Criminal and Civil Proceedings) Act 2004 (Cth.).

Règlement sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (tribunaux provinciaux), DORS/91-604, art. 2, 7, 8.

Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, règles 30.02 (mod. par Règl. de l’Ont. 438/08, art. 26), 31.06(1) (mod., idem, art. 30).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 81 (mod. par DORS/2009-331, art. 2), 222(2).

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. n36, art. 14(1).

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. n47, art. 19.

Les Principes de Johannesburg relatifs à la sécurité nationale, à la liberté d’expression et à l’accès à l’information, Doc. NU E/CN.4/1996/39, annexe.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar), 2007 CF 766, [2008] 3 R.C.F. 248; Toronto Star Newspapers Ltd. c. Canada, 2007 CF 128, [2007] 4 R.C.F. 434; Ribic c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 10, conf. par 2003 CAF 246, [2005] 1 R.C.F. 33; Canada (Procureur général) c. Khawaja, 2007 CF 490, [2008] 1 R.C.F. 547, inf. en partie, 2007 CAF 342; Charkaoui (Re), 2009 CF 342, [2010] 3 R.C.F. 67; Harkat (Re), 2005 CF 393; Charkaoui (Re), 2009 CF 476; Harkat (Re), 2009 CF 204, [2009] 4 R.C.F. 370.

décisions examinées :

Abou-Elmaati v. Canada (Attorney General), 2010 ONSC 2055 (CanLII), 101 O.R. (3d) 424, 318 D.L.R. (4th) 459, 255 C.C.C. (3d) 177; Khadr c. Canada (Procureur général), 2008 CF 549; Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637; Conway v. Rimmer, [1968] UKHL 2, [1968] A.C. 910; Al Rawi & Ors v. Security Service & Ors, [2010] EWCA Civ 482, [2010] 3 W.L.R. 1069, [2010] 4 All E.R. 55; Mohamed, R (on the application of) v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, [2010] EWCA Civ 65, [2010] 4 All E.R. 91, [2011] Q.B. 218; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 57, [2002] 3 R.C.S. 3; Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589 (C.A.), inf. pour d’autres motifs par 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3; Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar), 2009 CF 1317, [2011] 1 R.C.F. 105; Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592; Parkin v. O’Sullivan, [2009] FCA 1096 (AustLII), 260 A.L.R. 503.

décisions citées :

Canada (Procureur général) c. Almalki, 2010 CF 733; Personne désignée c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43, [2007] 3 R.C.S. 253; Charkaoui (Re), 2008 CF 61, [2009] 1 R.C.F. 507; Toronto Star Newspaper Ltd. c. Ontario, 2005 CSC 41, [2005] 2 R.C.S. 188; Ottawa Citizen Group Inc. c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1052; Khadr c. Canada (Procureur général), 2008 CF 807; R. v. Ahmad, 2009 CanLII 84788, 257 C.C.C. (3d) 155 (C.S. Ont.); Al-Sweady & Ors, R (on the application of) v. Secretary of State for Defence, [2009] EWHC 1687 (Admin); Arar v. Ashcroft, 585 F.3d 559 (2nd Cir. 2009), bref de certiorari refusé 130 S. Ct. 3409 (2010); Mohamed v. Jeppesen Dataplan Inc., 614 F.3d 1070 (9th Cir. 2010); Goguen c. Gibson, [1983] 2 C.F. 463 (C.A.); Kevork c. La Reine, [1984] 2 C.F. 753 (1re inst.); Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229 (1re inst.); R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727; Apotex Inc. c. Canada, 2005 CAF 217; Benatta v. Canada (Attorney General), 2009 CanLII 70999 (C.S. Ont.); Nobel v. York University Foundation, 2010 ONSC 399 (CanLII); Secretary of State for the Home Department v. Rehman, [2001] UKHL 47, [2002] All E.R. 122, [2001] 3 W.L.R. 877; Éthier c. Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 C.F. 659 (C.A.); Lumonics Research Limited c. Gould, [1983] 2 C.F. 360 (C.A.); Carltona, Ltd. v. Commissioners of Works, [1943] 2 All E.R. 560 (C.A.); R. c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238; Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12; R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, [2001] 3 R.C.S. 442; Ottawa Citizen Group Inc. c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1552; R. c. Leipert, [1997] 1 R.C.S. 281; RJR — MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; Jose Pereira E Hijos, S.A. c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 470; Khan c. Canada, [1996] 2 C.F. 316 (1re inst.); Canada (Procureur général) c. Kempo, 2004 CF 1678; Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; Canada (Justice) c. Khadr, 2008 CSC 28, [2008] 2 R.C.S. 125; Abdelrazik c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2009 CF 580, [2010] 1 R.C.F. 267; Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863.

DOCTRINE CITÉE

Aldrich, Richard J. GCHQ: The Uncensored Story of Britain’s Most Secret Intelligence Agency. Londres : Harper Press, 2010.

Aldrich, Richard. « Allied code-breakers co-operate – but not always », The Guardian, 24 juin 2010, en ligne : <http://www.guardian.co.uk/world/2010/jun/24/intelligence-sharing-codebreakers-agreement-ukusa>.

Bingham, John. « Hillary Clinton made security help “threat” to David Miliband over Binyam Mohamed case », The Telegraph, 29 juillet 2009, en ligne : <http://www.telegraph.co.uk/news/uknews/law-and-order/5934016/Hillary-Clinton-made-security-help-threat-to-David-Miliband-over-Binyam-Mohamed-case.html>.

Black’s Law Dictionary, 7e éd. St. Paul, Minn. : West Group, 1999, « national defence ».

Canada. Commission d’enquête relative aux mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India. Vol 182 d’Air India : Une tragédie canadienne (l’honorable John C. Major, c.r., commissaire), Ottawa : La commission, 2010, en ligne : <http://epe.lac-bac.gc.ca/100/200/301/pco-bcp/commissions-ef/air_india-ef/final_report-ef/fr/reports/finalreport/index.asp>.

Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada (Commission McDonald). Premier rapport : Sécurité et information, Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 9 octobre 1979, en ligne : <http://epe.lac-bac.gc.ca/100/200/301/pco-bcp/commissions-ef/mcdonald1979-81-fra/mcdonald1979-81-rapport1-fra/mcdonald1979-91-rapport1-fra.pdf>.

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Canada. Enquête interne sur les actions des responsables canadiens relativement à Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin : Supplément au rapport public, (l’honorable Frank Iacobucci, c.r., commissaire), Ottawa : Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010, en ligne : <http://dsp-psd.tpsgc.gc.ca/collection_2010/bcp-pco/CP32-90-1-2010-fra.pdf>.

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Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law, McNaughton Revision, vol. 8, Boston : Little, Brown & Co., 1961.

DEMANDE d’ordonnance en vertu du paragraphe 38.06(3) de la Loi sur la preuve au Canada pour confirmer l’interdiction légale de divulgation de renseignements qui font l’objet d’un processus d’enquête préalable dans le cadre d’une cause civile. Demande accueillie en partie.

ONT COMPARU

Linda J. Wall et Catherine A. Lawrence pour le demandeur.

Aaron Dantowitz, Philip Tunley et Owen Rees pour les défendeurs Abdullah Almalki, Khuzaimah Kalifah, Abdulrahman Almalki, représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah; Sajeda Almalki, représentée par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah; Muaz Almalki, représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, Zakariyy a Almalki, représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah; Nadim Almalki et Fatima Almalki.

Aaron Dantowitz, Philip Tunley, Owen M. Rees et Barbara L. Jackman pour les défendeurs Ahmad Abou-Elmaati, Badr Abou-Elmaati, Samira Al-Shallash et Rasha Abou-Elmaati.

Aaron Dantowitz, Philip Tunley, Owen M. Rees, Barbara L. Jackman et Hadayt Nazami pour les défendeurs Muayyed Nureddin, Abdul Jabbar Nureddin, Fadila Siddiqu Mofak Nureddin, Aydin Nureddin, Yashar Nureddin, Ahmed Nureddin, Sarab Nureddin, Byda Nureddin.

François Dadour et Bernard Grenier à titre d’intervenants désintéressés.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Stockwoods LLP et Jackman & Associates, Toronto, pour les défendeurs.

  Ce qui suit est la version française des motifs publics du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Mosley : Le procureur général du Canada a présenté une demande d’ordonnance relativement à la divulgation de renseignements qui font l’objet d’un processus d’enquête préalable dans diverses actions introduites par les défendeurs devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. La demande est soumise à la Cour fédérale en vertu de l’article 38.04 [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141] de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5 (la Loi).

[2]        La divulgation des renseignements en question est refusée aux défendeurs en vertu de l’interdiction légale de divulgation prévue à l’alinéa 38.02(1)a) [édicté, idem, art. 43] de la Loi. Le procureur général demande à la Cour de confirmer cette interdiction. À titre subsidiaire, le procureur général demande à la Cour d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 38.06(2) [édicté, idem] de la Loi en ordonnant la divulgation des renseignements en la forme et aux conditions de divulgation les plus susceptibles de limiter le préjudice porté aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales.

[3]        Les défendeurs demandent une ordonnance autorisant la divulgation de tous les renseignements dont le demandeur cherche à refuser la communication. Les défendeurs demandent à la Cour, dans les cas où l’existence de motifs suffisants pour justifier l’octroi d’une réparation moindre aura été établie, de recourir aux solutions de rechange qui s’offrent à elle de la manière qui réponde le mieux aux intérêts du public tout en tenant compte de leur intérêt à obtenir la divulgation la plus complète dans chaque cas.

[4]        Dans les présents motifs, je vais relater l’historique de l’instance, définir le cadre juridique applicable et analyser les questions de droit soulevées par les parties ainsi que les principes que j’ai appliqués pour déterminer si les renseignements devraient ou non être divulgués. Une ordonnance confidentielle a été signée et a été déposée au greffe des instances désignées de la Cour fédérale. On y trouve les conclusions précises que j’ai tirées au sujet des renseignements en question. L’ordonnance autorise la divulgation intégrale ou sous forme de résumé de certains des renseignements refusés, et elle confirme la non‑divulgation du reste des renseignements. Cette ordonnance a été transmise au procureur général conformément à l’alinéa 38.02(2)b) [édicté, idem] pour accorder au demandeur le délai prévu à l’article 38.09 [édicté, idem] de la Loi pour décider de l’opportunité d’interjeter appel.

[5]        Par souci de commodité, toute mention de l’article 38 dans les présents motifs s’entend des articles 38 à 38.16 [édictés, idem, art. 43, 141] de la Loi.

HISTORIQUE DE L’INSTANCE

[6]        Dans les actions intentées devant la Cour supérieure de justice, Abdullah Almalki, Ahmad Abou‑Elmaati et Muayyed Nureddin (les défendeurs principaux) réclament, de concert avec des membres de leurs familles, des dommages‑intérêts compensatoires du gouvernement du Canada notamment pour la présumée complicité de ce dernier à l’égard de leur détention et de leur torture en Syrie (et en Égypte, dans le cas de M. Elmaati) et de la violation des droits que leur garantit la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte). Le procureur général du Canada représente les fonctionnaires et les ministères et organismes gouvernementaux qui devraient répondre du préjudice subi par les défendeurs aux termes de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C‑50 [art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21)], article 23 [mod., idem, art. 29; 2001, ch. 4, art. 47].

[7]        Les défendeurs ont introduit leurs demandes dans la foulée de la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar (la Commission O’Connor) et du rapport publié par la suite [Rapport sur les événements concernant Maher Arar : Analyse et recommandations, Ottawa : Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2006] (le rapport O’Connor). Dans son rapport, le juge Dennis O’Connor recommandait que le cas des trois défendeurs principaux soit réexaminé, mais qu’il le soit d’une manière plus appropriée qu’une enquête publique en bonne et due forme en raison des questions de sécurité nationale en jeu.

[8]        En conséquence, l’honorable Frank Iacobucci, c.r., a été désigné pour présider l’Enquête interne sur les actions des responsables canadiens relativement à Abdullah Almalki, Ahmad Abou‑Elmaati et Muayyed Nureddin (l’enquête Iacobucci). Aux termes du mandat qui lui a été confié, le commissaire Iacobucci devait examiner les agissements des fonctionnaires envers MM. Almalki, Elmaati et Nureddin, qui avaient été détenus et avaient été maltraités en Syrie, mais aussi en Égypte, dans le cas de M. Elmaati, entre 2001 et 2004, pour établir : 1) si la détention et les sévices subis par les trois hommes en question résultaient, directement ou indirectement, des actions de responsables canadiens (particulièrement en ce qui a trait à l’échange de renseignements avec des pays étrangers); 2) dans l’affirmative, si ces actions comportaient des lacunes dans les circonstances; 3) s’il y avait eu un manquement dans les actions prises par les responsables canadiens pour fournir des services consulaires à ces trois hommes au cours de leur détention.

[9]        Le rapport du commissaire Iacobucci a été publié en octobre 2008 [Enquête interne sur les actions des responsables canadiens relativement à Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin, Ottawa : Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux] (le rapport Iacobucci). Un supplément au rapport a été publié le 23 février 2010 [Enquête interne sur les actions des responsables canadiens relativement à Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin : Supplément au rapport public, Ottawa : Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux]; le commissaire Iacobucci y fournissait des renseignements complémentaires qui ne pouvaient pas être divulgués au moment où le rapport public avait été communiqué en raison des craintes du gouvernement que la divulgation de renseignements de la manière qui était alors proposée porte préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales (le Supplément au rapport public).

[10]      Le mandat du commissaire Iacobucci le chargeait notamment de soumettre un rapport confidentiel ainsi qu’un rapport distinct pouvant être rendu public. Le rapport public ne pouvait dévoiler des renseignements susceptibles de porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales ou à la conduite de toute enquête ou procédure. Ainsi que le commissaire Iacobucci l’a signalé, cette formulation ressemblait à celle que l’on trouve à l’article 38. Pour déterminer si des renseignements pouvaient être communiqués au public, le commissaire Iacobucci s’est inspiré de la démarche suivie dans le rapport d’enquête O’Connor et par les facteurs énoncés par le juge Simon Noël dans la décision Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar), 2007 CF 766, [2008] 3 R.C.F. 248 (la décision Arar). Advenant le cas où il n’était pas d’accord avec la position adoptée par le gouvernement, le commissaire Iacobucci pouvait, en vertu de son mandat, aviser le procureur général, auquel cas cet avis pouvait donner lieu à une instance devant la Cour fédérale en vue de trancher la question conformément à l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada.

[11]      À une exception près, le commissaire Iacobucci s’est dit convaincu que c’était à juste titre que les renseignements confidentiels omis de la version publique de son rapport étaient considérés comme confidentiels pour des raisons de sécurité nationale. Le commissaire Iacobucci a donné un avis au procureur général au sujet de cette exception. La question a finalement été tranchée à la suite d’autres discussions approfondies qui se sont soldées par la divulgation des renseignements complémentaires sous forme de résumé dans le Supplément au rapport public publié en février 2010.

[12]      En réponse aux demandes de production de documents formulées par les avocats de la Commission, le procureur général du Canada a produit quelque 40 000 documents à la commission d’enquête. Ces documents ont été communiqués sans caviardage, à l’exception de certains documents faisant l’objet d’un privilège ou d’une immunité et à l’exception des renseignements susceptibles de révéler le nom d’une source humaine étrangère.

[13]      Les instances introduites par les défendeurs devant la Cour supérieure de justice ont été suspendues en attendant l’issue de l’enquête Iacobucci et elles ont été reprises à la suite de la publication du rapport. En avril 2009, les parties ont convenu de recourir à la médiation à l’automne 2009. À cette fin, en juillet 2009, les avocats du procureur général ont communiqué aux avocats des défendeurs environ 486 documents, dont 290 étaient caviardés. Les 486 documents avaient été explicitement réclamés par les avocats des défendeurs parce que le rapport Iacobucci faisait mention de renseignements contenus dans ces documents.

[14]      Dans les 290 documents en question, on avait noirci les passages dont on affirmait qu’ils étaient susceptibles de porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales. On avait également caviardé en blanc des passages qui, selon le demandeur, n’avaient pas rapport au litige ou faisaient l’objet de revendications de privilège en vertu des articles 37 [mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 140] et 39 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144] de la Loi ou étaient assujettis au secret professionnel de l’avocat. Ces questions seront examinées par la Cour supérieure de justice. Dans les présents motifs, on entend par « passages expurgés » uniquement les renseignements faisant l’objet de revendications fondées sur l’article 38.

[15]      Lorsque les documents ont été produits en juillet 2009, aucun avis officiel n’avait été donné conformément à la Loi au sujet des renseignements censurés et aucune décision n’avait été prise par le procureur général sur l’opportunité de divulguer les renseignements. Les représentants des ministères et des organismes travaillaient avec l’équipe du contentieux qui représentait le procureur général en vue de passer en revue les documents devant être produits et d’identifier les renseignements qui pourraient être considérés comme « potentiellement préjudiciables » ou « sensibles » et qui étaient donc susceptibles de faire l’objet d’une revendication de privilège fondée sur l’intérêt public en vertu de l’article 38.

[16]      Un document, qui se trouve maintenant à l’onglet 171 du dossier soumis à la Cour, a été communiqué sans caviardage aux défendeurs. Il s’agit d’un rapport rédigé par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service). Le 18 août 2009, un avocat du SCRS a informé un haut fonctionnaire du ministère de la Justice que le document 171 avait été communiqué par inadvertance et qu’avis était donné au procureur général, conformément à l’article 38.01 [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43], que ce document renfermait des renseignements sensibles. Par lettre datée du même jour, les avocats du procureur général ont écrit à l’avocat des défendeurs Elmaati pour exiger la restitution du document. Le document ne leur a pas été rendu. Le procureur général a par la suite autorisé la divulgation d’une version expurgée du document 171, qui a été communiquée aux défendeurs le 9 septembre 2009. À la suite d’autres révisions, une version dans laquelle certains des passages expurgés étaient réintégrés à la suite de l’autorisation du procureur général a été déposée auprès de la Cour le 19 mars 2010 et a été communiquée aux défendeurs.

[17]      Suivant le demandeur, le document 171 a été divulgué par inadvertance. Les défendeurs affirment qu’il devrait être à juste titre qualifié de « document divulgué ». Je vais le désigner sous le nom de document 171. Ce document porte sur l’objet du Supplément au rapport public publié par le commissaire Iacobucci en février 2010. Suivant la preuve, le document 171 avait été colligé par l’équipe du contentieux lorsqu’elle tentait de répondre à la demande de production et les fonctionnaires du SCRS ne l’ont pas examiné avant sa divulgation, le 19 juillet 2009.

[18]      Pour des raisons que la Cour ignore et qui ne tirent vraisemblablement pas à conséquence en l’espèce, la médiation prévue pour novembre 2009 n’a pas eu lieu et le procès a repris. Le 15 janvier 2010, les défendeurs Elmaati ont saisi la Cour supérieure de justice d’une requête visant l’obtention d’une ordonnance exigeant la production des documents sans caviardage ou, à titre subsidiaire, la radiation de la défense du procureur général. Il était convenu que la décision rendue en réponse à cette requête vaudrait pour les trois actions. Le document 171 a été annexé à la requête dans une enveloppe scellée. Il s’agit de l’annexe B de l’affidavit souscrit le 15 janvier 2010 par M. Mudryk.

[19]      Le 18 janvier 2010, un second avis a été donné au procureur général en vertu du paragraphe 38.01(1) pour lui faire savoir que 289 documents dont la communication intégrale était réclamée devant la Cour supérieure de justice contenaient des renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables dont la divulgation serait susceptible de porter préjudice aux relations internationales ou à la sécurité nationale, ou aux deux. Aux termes d’une décision rendue en mars 2010, le nombre de documents dont la protection était demandée a été ramené à 268 étant donné que le procureur général avait autorisé la divulgation d’autres documents. Les décisions à cet égard ne sont pas prises personnellement par le procureur général. Suivant la preuve, le pouvoir d’agir du procureur général en ce qui concerne les questions visées à l’article 38 est délégué à deux hauts fonctionnaires du ministère de la Justice.

[20]      Un avis de demande confidentiel a été déposé le 2 février 2010 conformément à l’article 38.04 avec un avis de requête et un dossier de requête réclamant des directives de la Cour. Les avocats des parties ont comparu par voie de conférence téléphonique devant le juge en chef Allan Lutfy le 4 février 2010 et à plusieurs dates par la suite aux fins de la gestion de l’instance.

[21]      Conformément aux directives données par le juge en chef, un avis de demande public a été déposé le 9 février 2010 et la présente instance a été présumée être publique, sauf pour la partie de l’audience qui s’est déroulée ex parte et à huis clos, le tout en conformité avec la décision rendue dans l’affaire Toronto Star Newspapers Ltd. c. Canada, 2007 CF 128, [2007] 4 R.C.F. 434 (la décision Toronto Star), que j’ai adoptée et appliquée.

[22]      Conformément à l’article 38.05 [édicté, idem] de la Loi, un avis de la demande a été envoyé au juge régional principal Charles Hackland, le juge chargé de la gestion de l’instance dans l’action Almalki intentée devant la Cour supérieure de justice à Ottawa, ainsi qu’au juge Paul Perell, le juge chargé de la gestion de l’instance dans les actions Elmaati et Nureddin à Toronto.

[23]      En réponse à la requête en production d’Elmaati, le procureur général a soulevé une exception préliminaire par laquelle il déclinait la compétence de la Cour supérieure de justice pour accorder la réparation demandée, compte tenu de la compétence conférée à la Cour fédérale par l’article 38. En réponse, M. Elmaati a déposé le 12 mars 2010 une requête par laquelle il contestait la constitutionnalité de l’article 38. Les deux requêtes ont été instruites le 25 mars 2010 par le juge Perell qui, le 8 avril 2010, a fait droit à la contestation constitutionnelle, mais a rejeté la requête en production (Abou‑Elmaati v. Canada (Attorney General), 2010 ONSC 2055 (CanLII), 101 O.R. (3d) 425 (la décision Abou‑Elmaati)).

[24]      Le juge Perell a estimé que, dans le cas d’une demande visant à faire appliquer la Loi constitutionnelle, y compris la Charte, dans le cadre d’une instance civile, l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada n’empêchait pas un juge de la Cour supérieure de justice de procéder au contrôle judiciaire d’une revendication de privilège de la Couronne lors de l’instruction de l’action ou d’une demande fondée sur des motifs liés aux relations internationales ou à la sécurité ou à la défense nationales. Il a toutefois conclu qu’au cours des étapes interlocutoires d’une instance, la Constitution conférait au législateur fédéral le pouvoir d’écarter la compétence que la Cour supérieure peut avoir pour contrôler les revendications de secret d’intérêt public du gouvernement fédéral et pour les faire relever de la Cour fédérale (décision Abou‑Elmaati, précitée, aux paragraphes 109 à 112).

[25]      Un appel et un appel incident ont été formés par les parties à l’encontre de la décision du juge Perell. Les défendeurs adoptent le point de vue           que notre Cour devrait s’en remettre à l’examen des documents et des revendications de privilège en question que fera la Cour supérieure de justice s’il est jugé, à la suite de l’appel et de l’appel incident, que cette juridiction possède la compétence inhérente ainsi qu’une compétence protégée par la Constitution pour procéder à l’examen prévu à l’article 38.

[26]      Dans la présente instance, des éléments de preuve ont été présentés par le procureur général au soutien de la demande sous forme d’affidavits publics et d’affidavits confidentiels ex parte. Les affidavits en question ont été souscrits par des fonctionnaires représentant les divers ministères et organismes desquels proviennent les documents. Pour la plupart, les auteurs de ces affidavits n’ont pas une connaissance personnelle des événements ou des faits relatés dans les documents et n’ont pas pris connaissance des rapports O’Connor et Iacobucci. À quelques exceptions près, les souscripteurs des affidavits publics n’ont pas examiné les passages expurgés des documents avant de souscrire leur affidavit. Ils ont témoigné de façon générale au sujet du type de renseignements se rapportant aux relations internationales ou à la sécurité ou à la défense nationales dont on réclame la protection. Les souscripteurs des affidavits confidentiels étaient au courant des passages expurgés et ont expliqué les risques de préjudice invoqués par le procureur général en fonction de la teneur de ces passages.

[27]      Les défendeurs ont déposé un affidavit comportant de nombreux éléments de preuve étayés par des pièces jointes (l’affidavit de M. Mudryk) pour s’opposer à la demande. Ces éléments de preuve se rapportaient principalement aux demandes introduites devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, aux rapports d’enquête et aux passages expurgés des documents.

[28]      Une requête en désignation d’un intervenant désintéressé a été déposée par les défendeurs le 19 mars 2010. Après avoir examiné les observations orales et écrites des parties au sujet de la nécessité de désigner des intervenants désintéressés et du choix des candidats appropriés, la Cour a, le 26 mars 2010, désigné Mes Bernard Grenier et François Dadour à titre d’intervenants désintéressés pour aider la Cour dans son examen de la preuve présentée et des questions soulevées lors des audiences ex parte.

[29]      Des arguments préliminaires ont été formulés pour le compte des parties. Le 6 avril 2010, une audience publique a été tenue à Toronto pour recevoir les observations orales des avocats. Des audiences ex parte visant à recevoir la preuve à huis clos et ex parte du demandeur ont eu lieu dans les locaux sécurisés de la Cour à Ottawa pendant six jours à compter du 19 avril 2010. Les avocats du procureur général ont procédé à l’interrogatoire principal des témoins et ceux‑ci ont été contre‑interrogés par les intervenants désintéressés.

[30]      Dans le témoignage qu’ils ont donné à huis clos et ex parte, les témoins sont entrés dans le détail au sujet des préoccupations évoquées dans les affidavits. Chaque témoin a donné un aperçu de la nature de l’intérêt de son ministère ou de son organisme au sujet des éléments portés à la connaissance de la Cour, tels que les rapports avec des organismes étrangers, et a discuté de l’atteinte que la divulgation de ces renseignements causerait selon eux aux intérêts nationaux protégés. Ces témoins étaient représentatifs en ce sens qu’ils n’avaient aucune connaissance personnelle des faits ou des personnes mentionnés dans les documents, mais qu’ils témoignaient d’après leur expérience de travail et en se fondant sur les renseignements recueillis à partir de dossiers ministériels ou obtenus d’autres fonctionnaires.

[31]      Le 13 mai 2010, les défendeurs ont déposé une requête visant l’obtention d’une ordonnance de confidentialité portant sur le contenu d’un affidavit déposé par le procureur général au greffe public de la Cour. En conséquence, la Cour a ordonné qu’il soit interdit au public de consulter les copies des documents annexés à l’affidavit de Pamela Dawson tant qu’une décision ne serait pas rendue. Après avoir examiné les observations écrites des parties, la Cour a ajourné la requête sine die sous réserve du droit du requérant de la soumettre de nouveau à la Cour avec preuve du préjudice que la divulgation de ces renseignements causerait (Canada (Procureur général) c. Almalki, 2010 CF 733).

[32]      Dans les observations qu’ils ont formulées devant la Cour au sujet de l’établissement de l’échéancier des étapes ultérieures de l’instance, les défendeurs ont proposé à la Cour de présenter des observations écrites confidentielles et ex parte au sujet de la teneur d’un document en leur possession que le demandeur soutenait avoir divulgué par inadvertance. Le demandeur s’est opposé à cette demande au motif que formuler de telles observations constituerait en soi une autre divulgation des renseignements que le demandeur cherche à protéger, et ce, avant que la Cour ne se prononce sur la question. Dans une ordonnance datée du 21 mai 2010 j’ai, sans trancher la question, déclaré que les défendeurs pouvaient présenter des observations au sujet de l’application des critères de l’article 38 au document en question sans en mentionner la teneur.

[33]      Les défendeurs ont contre‑interrogé les auteurs des affidavits publics du demandeur en mai et en juin et les intervenants désintéressés ont assisté à ces contre‑interrogatoires à titre d’observateurs.

[34]      La Cour a reçu les observations finales écrites publiques des avocats des parties ainsi que les observations écrites privées des avocats du procureur général et des intervenants désintéressés. Une audience publique a eu lieu le 23 juin 2010 pour recevoir les observations orales finales des parties. Pour aider la Cour, les défendeurs ont fourni une liste annotée des documents en cause. La Cour a reçu le 24 juin les observations finales à huis clos des avocats du procureur général et des intervenants désintéressés. En réponse aux questions et aux demandes formulées par la Cour à l’audience, les avocats du procureur général et les intervenants désintéressés ont soumis à la Cour des observations écrites et des renseignements complémentaires au cours du mois de juillet.

[35]      Au cours de la présente instance, le procureur général est revenu sur sa position et a estimé que certains des renseignements qui avaient été expurgés des documents déposés devant la Cour ne porteraient pas préjudice aux intérêts nationaux protégés s’ils étaient divulgués. Des versions révisées, où certains passages caviardés sont réintégrés, ont été communiquées aux défendeurs et ont été déposées devant la Cour. Le procureur général a par ailleurs autorisé la divulgation de renseignements complémentaires dans 92 documents.

[36]      Avant de formuler leurs observations orales finales, les intervenants désintéressés ont soumis à la Cour et aux avocats du procureur général des observations écrites détaillées au sujet des renseignements que le procureur général cherchait à protéger. Au sujet de certains passages expurgés, les intervenants désintéressés ont contesté la prétention du procureur général suivant laquelle la divulgation de ces renseignements causerait un préjudice ou ils ont fait valoir que, si la Cour était convaincue qu’un préjudice serait causé, les renseignements devraient être divulgués dans l’intérêt public. Dans d’autres cas, les intervenants désintéressés ont proposé d’autres modes de divulgation, en l’occurrence sous forme de résumés permettant aux défendeurs d’être mis au courant de l’essentiel des renseignements.

[37]      Les avocats du procureur général ont soumis à la Cour une série de tableaux dans lesquels ils ont identifié les passages expurgés que le demandeur avait acceptés et ceux qu’il souhaitait conserver. Dans plusieurs cas, ils ont accepté les résumés proposés par les intervenants désintéressés. Dans d’autres, ils ont soit maintenu la position du demandeur suivant laquelle le risque de préjudice allait à l’encontre de l’intérêt public, soit proposé un autre mode de divulgation des renseignements sous forme de résumé. Des versions révisées de ces tableaux ont été fournies à la Cour à la suite de la clôture de l’audience à huis clos en réponse aux observations des intervenants désintéressés et des questions de la Cour.

[38]      Au cours de l’audience à huis clos, la Cour a appris que la Gendarmerie Royale du Canada (la GRC) avait envoyé des demandes de permission de divulguer des renseignements qui provenaient d’organismes de services de renseignement et d’organismes chargés du maintien de l’ordre dans tous les pays étrangers concernés. Dans plusieurs pays, plus d’un organisme a été contacté. Le 13 octobre 2010, la Cour a appris qu’à cette date, plus de la moitié des organismes avaient répondu et qu’aucun d’entre eux n’avait accepté de divulguer ses renseignements.

CADRE LÉGAL

[39]      Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a fait observer, la publicité des débats judiciaires est un principe fondamental de notre système de justice et ce principe est inextricablement lié aux valeurs fondamentales consacrées à l’alinéa 2b) de la Charte. Ces valeurs ne sont toutefois pas absolues et elles doivent à l’occasion céder le pas devant d’autres intérêts importants à protéger, tels que le privilège relatif aux indicateurs de police ou le droit à un procès équitable (Personne désignée c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43, [2007] 3 R.C.S. 253; Charkaoui (Re), 2008 CF 61, [2009] 1 R.C.F. 507). Il existe également une restriction au principe de la publicité des débats judiciaires lorsque la divulgation serait préjudiciable aux fins de la justice ou nuirait indûment à la bonne administration de la justice (Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, 2005 CSC 41, [2005] 2 R.C.S. 188, au paragraphe 4).

[40]      Les restrictions à la divulgation des renseignements que prévoit l’article 38 de la Loi sont à première vue incompatibles avec le principe de la publicité des débats (Ottawa Citizen Group Inc. c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1052, au paragraphe 44). Chaque fois que des parties réclament des renseignements pour étayer la thèse qu’elles défendent dans un procès, l’application des restrictions de l’article 38 ne peut se justifier que si elle est nécessaire pour protéger des intérêts nationaux précis ayant trait aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales.

[41]      Les obligations de divulgation imposées à la Couronne fédérale dans une action civile sont expressément assujetties à l’article 38 (Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C‑50, articles 27 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 31] et 34 [mod., idem, art. 32; 2006, ch. 11, art. 18]; Règlement sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (tribunaux provinciaux), DORS/91‑604, articles 2, 7 et 8). Les dispositions suivantes des articles 38 [« renseignements potentiellement préjudiciables » (édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43), « renseignements sensibles » (édicté, idem)], 38.01, 38.02 [édicté, idem, art. 43, 141], 38.04 et 38.06 [édictés, idem, art. 43] de la Loi présentent un intérêt particulier pour la présente demande :

38. […]

Définitions

« renseignements potentiellement préjudiciables » Les renseignements qui, s’ils sont divulgués, sont susceptibles de porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales.

« renseignements potentiellement préjudiciables » “potentially injurious information

« renseignements sensibles » Les renseignements, en provenance du Canada ou de l’étranger, qui concernent les affaires internationales ou la défense ou la sécurité nationales, qui se trouvent en la possession du gouvernement du Canada et qui sont du type des renseignements à l’égard desquels celui-ci prend des mesures de protection.

« renseignements sensibles » “sensitive information

38.01 (1) Tout participant qui, dans le cadre d’une instance, est tenu de divulguer ou prévoit de divulguer ou de faire divulguer des renseignements dont il croit qu’il s’agit de renseignements sensibles ou de renseignements potentiellement préjudiciables est tenu d’aviser par écrit, dès que possible, le procureur général du Canada de la possibilité de divulgation et de préciser dans l’avis la nature, la date et le lieu de l’instance.

[…]

Avis au procureur général du Canada

38.02 (1) Sous réserve du paragraphe 38.01(6), nul ne peut divulguer, dans le cadre d’une instance :

a) les renseignements qui font l’objet d’un avis donné au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4);

[…]

Interdiction de divulgation

38.04 (1) Le procureur général du Canada peut, à tout moment et en toutes circonstances, demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance portant sur la divulgation de renseignements à l’égard desquels il a reçu un avis au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4).

Demande à la Cour fédérale : procureur général du Canada

(2) Si, en ce qui concerne des renseignements à l’égard desquels il a reçu un avis au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4), le procureur général du Canada n’a pas notifié sa décision à l’auteur de l’avis en conformité avec le paragraphe 38.03(3) ou, sauf par un accord conclu au titre de l’article 38.031, il a autorisé la divulgation d’une partie des renseignements ou a assorti de conditions son autorisation de divulgation :

a) il est tenu de demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance concernant la divulgation des renseignements si la personne qui l’a avisé au titre des paragraphes 38.01(1) ou (2) est un témoin;

b) la personne — à l’exclusion d’un témoin — qui a l’obligation de divulguer des renseignements dans le cadre d’une instance est tenue de demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance concernant la divulgation des renseignements;

c) la personne qui n’a pas l’obligation de divulguer des renseignements dans le cadre d’une instance, mais qui veut en divulguer ou en faire divulguer, peut demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance concernant la divulgation des renseignements.

Demande à la Cour fédérale : dispositions générales

(3) La personne qui présente une demande à la Cour fédérale au titre des alinéas (2)b) ou c) en notifie le procureur général du Canada.

Notification du procureur général

(4) Toute demande présentée en application du présent article est confidentielle. Sous réserve de l’article 38.12, l’administrateur en chef du Service administratif des tribunaux peut prendre les mesures qu’il estime indiquées en vue d’assurer la confidentialité de la demande et des renseignements sur lesquels elle porte.

Dossier du tribunal

(5) Dès que la Cour fédérale est saisie d’une demande présentée au titre du présent article, le juge :

a) entend les observations du procureur général du Canada — et du ministre de la Défense nationale dans le cas d’une instance engagée sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale — sur l’identité des parties ou des témoins dont les intérêts sont touchés par l’interdiction de divulgation ou les conditions dont l’autorisation de divulgation est assortie et sur les personnes qui devraient être avisées de la tenue d’une audience;

b) décide s’il est nécessaire de tenir une audience;

c) s’il estime qu’une audience est nécessaire :

(i) spécifie les personnes qui devraient en être avisées,

(ii) ordonne au procureur général du Canada de les aviser,

(iii) détermine le contenu et les modalités de l’avis;

d) s’il l’estime indiqué en l’espèce, peut donner à quiconque la possibilité de présenter des observations.

[…]

Procédure

(7) Sous réserve du paragraphe (6), si le procureur général du Canada autorise la divulgation de tout ou partie des renseignements ou supprime les conditions dont la divulgation est assortie après la saisine de la Cour fédérale aux termes du présent article et, en cas d’appel ou d’examen d’une ordonnance du juge rendue en vertu de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3), avant qu’il en soit disposé, le tribunal n’est plus saisi de la demande et il est mis fin à l’audience, à l’appel ou à l’examen à l’égard de tels des renseignements dont la divulgation est autorisée ou n’est plus assortie de conditions.

[…]

Fin de l’examen judiciaire

38.06 (1) Le juge peut rendre une ordonnance autorisant la divulgation des renseignements, sauf s’il conclut qu’elle porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales.

Ordonnance de divulgation

(2) Si le juge conclut que la divulgation des renseignements porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, mais que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation, il peut par ordonnance, compte tenu des raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation ainsi que de la forme et des conditions de divulgation les plus susceptibles de limiter le préjudice porté aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, autoriser, sous réserve des conditions qu’il estime indiquées, la divulgation de tout ou partie des renseignements, d’un résumé de ceux-ci ou d’un aveu écrit des faits qui y sont liés.

Divulgation modifiée

(3) Dans le cas où le juge n’autorise pas la divulgation au titre des paragraphes (1) ou (2), il rend une ordonnance confirmant l’interdiction de divulgation.

Confirmation de l’interdiction

(3.1) Le juge peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu’il estime digne de foi et approprié — même si le droit canadien ne prévoit pas par ailleurs son admissibilité — et peut fonder sa décision sur cet élément.

Preuve

(4) La personne qui veut faire admettre en preuve ce qui a fait l’objet d’une autorisation de divulgation prévue au paragraphe (2), mais qui ne pourra peut-être pas le faire à cause des règles d’admissibilité applicables à l’instance, peut demander à un juge de rendre une ordonnance autorisant la production en preuve des renseignements, du résumé ou de l’aveu dans la forme ou aux conditions que celui-ci détermine, dans la mesure où telle forme ou telles conditions sont conformes à l’ordonnance rendue au titre du paragraphe (2).

Admissibilité en preuve

(5) Pour l’application du paragraphe (4), le juge prend en compte tous les facteurs qui seraient pertinents pour statuer sur l’admissibilité en preuve au cours de l’instance.

Facteurs pertinents

[42]      Pour se prononcer sur l’opportunité de rendre l’ordonnance prévue à l’article 38.06 de la Loi, la Cour doit se livrer à une analyse en trois étapes, ainsi qu’il est expliqué dans la décision Ribic c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 10, confirmée par 2003 CAF 246, [2005] 1 R.C.F. 33 (l’arrêt Ribic). Pour examiner les renseignements en litige, la Cour doit déterminer : 1) leur pertinence par rapport à l’instance principale; 2) si leur divulgation porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales; 3) si les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation.

[43]      L’arrêt Ribic a été appliqué dans plusieurs décisions de notre Cour : Canada (Procureur général) c. Khawaja, 2007 CF 490, [2008] 1 R.C.F. 547 (la décision Khawaja), inf. en partie par 2007 CAF 342; décision Arar, précitée; Khadr c. Canada (Procureur général), 2008 CF 807 (la décision Khadr de juin 2008); Khadr c. Canada (Procureur général), 2008 CF 549 (la décision Khadr d’avril 2008).

QUESTIONS EN LITIGE

[44]      Une question préliminaire à laquelle il faut répondre est celle de savoir si notre Cour doit s’en remettre à la Cour supérieure de justice de l’Ontario en ce qui concerne l’examen des documents et des privilèges revendiqués en cause.

[45]      Sauf s’il est décidé de s’en remettre à la Cour supérieure de justice, la question qui m’est soumise est celle de savoir si l’interdiction légale de divulgation de renseignements qui est prévue à l’alinéa 38.02(1)a) devrait être confirmée conformément au paragraphe 38.06(3) de la Loi. Voici les questions précises auxquelles il faut répondre :

1) Comment doit‑on appliquer le critère de l’arrêt Ribic aux renseignements en cause?

2) Quelles conséquences, s’il en est, la divulgation du document 171 aurait‑elle sur la demande de protection de ses passages expurgés?

ANALYSE

Notre Cour devrait‑elle s’en remettre à la Cour supérieure de justice de l’Ontario?

[46]      Cette question est soulevée parce que les défendeurs souhaitent que la cour qui jugera et tranchera leur action contre le gouvernement fédéral se prononce sur les questions relatives à la divulgation des renseignements qui font l’objet d’une revendication de privilège de la part du demandeur pour des raisons de préjudice aux relations internationales et à la sécurité ou à la défense nationales. Les défendeurs ne contestent pas que l’article 38 confère à notre Cour la compétence pour se prononcer sur les revendications de privilège se rapportant aux trois motifs d’intérêt public en cause. Ils maintiennent qu’en règle générale, les instances civiles se déroulant devant les cours supérieures provinciales sont régies par la common law et par la loi sur la preuve de la province en cause et ils soutiennent que le législateur fédéral ne pouvait constitutionnellement dépouiller les cours supérieures provinciales de cette compétence en édictant les dispositions applicables de la Loi sur la preuve au Canada. Ils font valoir que cette compétence fait partie de ce noyau irréductible de pouvoirs qui sont conférés en exclusivité aux cours supérieures provinciales par l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1], reproduite dans L.R.C. (1985), appendice II, no 5.

[47]      Les défendeurs maintiennent donc que notre Cour devrait s’en remettre à la Cour supérieure de justice en ce qui concerne tout examen des renseignements visés par le processus d’enquête préalable dans l’instance introduite devant la Cour supérieure de justice s’il est jugé, à la suite de l’appel et de l’appel incident formés à l’encontre de la décision du juge Perell, que cette juridiction possède la compétence inhérente ainsi qu’une compétence protégée par la Constitution pour procéder à l’examen des revendications de privilège fondées sur les relations internationales et la sécurité ou la défense nationales à toutes les étapes du procès civil.

[48]      Les défendeurs ne contestent pas que notre Cour a compétence, en vertu de l’article 38 de la Loi, pour procéder à un tel examen, mais ils soutiennent que la décision du juge Perell confirme la compétence de la Cour supérieure pour procéder à son propre examen des revendications de privilège, du moins au procès. Ils contestent la conclusion que des considérations d’ordre pratique militent en faveur de ne pas exercer de compétence à l’étape interlocutoire de l’instance, ce qui constitue l’une des questions visées par l’appel. Les défendeurs soutiennent que l’argument tiré des « considérations d’ordre pratique » ne répond pas aux raisons de principe qui justifient l’examen des privilèges par les tribunaux de première instance qui sont énumérées dans le rapport de la Commission d’enquête relative aux mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India [Vol 182 d’Air India : Une tragédie canadienne] (l’enquête Major), vol. III, aux pages 176 à 185.

[49]      Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que le fait que les défendeurs préfèrent que les questions visées à l’article 38 soient jugées par le tribunal qui statuera sur le fond de leurs prétentions contre le gouvernement fédéral n’a aucune pertinence sur le plan juridique en l’espèce, compte tenu du choix délibéré du législateur fédéral d’attribuer cette compétence exclusivement à notre Cour et du fait qu’il n’existe aucune décision faisant jurisprudence dans laquelle cette loi a été jugée inconstitutionnelle. La question de la constitutionnalité de ce choix ne m’a pas été soumise.

[50]      La question est présentement soumise à la Cour suprême du Canada, du moins en ce qui concerne un procès criminel, dans le cadre d’un pourvoi formé à l’encontre de la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario R. v. Ahmad, 2009 CanLII 84788, 257 C.C.C. (3d) 155 (la décision Ahmad). Si la Cour suprême devait confirmer la décision Ahmad ou si la Cour d’appel de l’Ontario devait confirmer la thèse défendue par les défendeurs dans l’appel interjeté dans l’affaire Abou‑Elmaati, précitée, des questions de compétence ou de courtoisie judiciaire seraient probablement soulevées. Mais comme aucune de ces éventualités ne s’est encore produite, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’aborder pour le moment la question de savoir si nous devons nous en remettre à la Cour supérieure de justice.

[51]      J’estime qu’il y a toutefois lieu de préciser que je suis également d’accord avec le demandeur pour dire que la décision de confier à la Cour fédérale le soin de trancher les questions relatives à l’article 38 constituait un aspect important de la décision du législateur fédéral de donner suite aux recommandations de la Commission McDonald au sujet des décisions portant sur les questions de privilège d’intérêt public ressortissant à la sécurité nationale (Canada, Commission d’enquête concernant certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada (sous la présidence du juge D.C. McDonald), Premier rapport : Sécurité et information, 9 octobre 1979). La sécurité matérielle de ces renseignements constituait l’une des raisons pour lesquelles le législateur fédéral a choisi de centraliser les décisions portant sur la divulgation de renseignements potentiellement préjudiciables en les confiant à la Cour fédérale. Des préoccupations portant sur l’expertise, l’uniformité et la sécurité des renseignements continuent à sous‑tendre l’octroi, à l’article 38, d’une compétence exclusive en la matière à la Cour fédérale.

[52]      Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la mise en œuvre des recommandations de la Commission McDonald s’est traduite par une approche plus libérale en matière de divulgation des renseignements protégés que celle dont disposaient les plaideurs en common law. Les défendeurs citent l’arrêt Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637, à la page 647, à l’appui de l’argument que le traitement du secret d’intérêt public en common law a évolué au point où les tribunaux en sont venus à reconnaître que l’équilibre recherché entre les intérêts opposés a changé sensiblement au fil des ans et au gré des faits de chaque espèce. À certains moments, l’intérêt qu’a le public à ce que le secret des délibérations du gouvernement soit gardé a reçu « une priorité presque absolue », tandis qu’à d’autres époques, « on s’est rapproché davantage de l’équilibre ».

[53]      Les défendeurs ont raison de dire que la common law a évolué, notamment à la suite de l’arrêt rendu en 1968 par la Chambre des lords dans l’affaire Conway v. Rimmer, [1968] UKHL 2, [1968] A.C. 910, qui a introduit le concept de la mise en balance des intérêts du public à assurer la bonne administration de la justice et de l’intérêt du public à refuser la communication de documents dont la divulgation irait à l’encontre de l’intérêt national.

[54]      Au Royaume‑Uni, les tribunaux ont continué à se pencher sur l’épineuse question de la recherche d’un équilibre sans pouvoir compter sur les indications du législateur (Al Rawi & Ors v. Security Service & Ors, [2010] EWCA Civ 482, [2010] 3 W.L.R. 1069, aux paragraphes 23 à 26 (la décision Al Rawi); Al‑Sweady & Ors, R (on the application of) v. Secretary of State for Defence, [2009] EWHC 1687 (Admin) (la décision Al-Sweady); R (on the application of Mohamed) v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, [2010] EWCA Civ 65, [2010] 4 All E.R. 91 (la décision Mohamed)). L’Australie a adopté un régime législatif complet pour traiter de la question des renseignements ayant trait à la sécurité nationale (National Security Information (Criminal and Civil Proceedings) Act 2004 (Cth.)). Ce régime est semblable à celui que l’on trouve dans la Loi sur la preuve au Canada.

[55]      Les États‑Unis ont adopté une loi comparable : la Classified Information Procedures Act, 18 U.S.C. App. III, §§ 1 à 16 (1980), qui porte sur les instances criminelles. Pour appliquer aux affaires civiles les principes relatifs aux secrets d’intérêt public, les tribunaux américains font toutefois preuve d’une retenue exceptionnelle envers l’appréciation que le pouvoir exécutif fait du préjudice, au point même de déclarer irrecevables les actions à l’étape des plaidoiries (voir, par exemple, Arar v. Ashcroft, 585 F.3d 559 (2nd Cir. 2009), bref de certiorari refusé 130 S. Ct. 3409 (2010); Mohamed v. Jeppesen Dataplan Inc., 614 F.3d 1070 (9th Cir. 2010)).

[56]      La jurisprudence canadienne démontre clairement qu’en common law « une priorité presque absolue » a été accordée aux revendications fondées sur les relations internationales et la sécurité ou la défense nationales par opposition aux autres intérêts publics. La question soumise à la Cour suprême dans l’affaire Carey portait sur une demande de protection de documents du Cabinet d’une province relativement à des investissements faits dans un centre de villégiature. Aucune considération quant à la sécurité nationale, aux relations internationales ou à la défense nationale n’était soulevée. À la page 671 des motifs qu’il a rédigés au nom de la Cour, le juge La Forest souligne que ces questions étaient très différentes et qu’elles pourraient fort bien justifier le tribunal de refuser la communication de ces documents même sans procéder à une inspection. Il poursuit en écrivant ce qui suit :

En effet, dans le cas de documents relevant de ces domaines, il vaut souvent mieux que même les juges ne soient pas au courant de leur contenu, et la période pendant laquelle ils devraient rester secrets peut alors être très longue.

[57]      Ces propos traduisent la démarche que suivaient les tribunaux en ce qui concerne les revendications fondées sur la sécurité nationale avant l’édiction du prédécesseur de l’article 38. Les certificats dans lesquels ces privilèges étaient revendiqués étaient considérés comme déterminants. Les juges hésitaient à aller au‑delà de ces certificats. L’édiction de l’article 36.2 en 1982 constitue un écart marqué par rapport à l’approche de la common law (S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 111, art. 4, ann. III  [de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, ch. E-10]; Goguen c. Gibson, [1983] 2 C.F. 463 (C.A.), à la page 479; Kevork c. La Reine, [1984] 2 C.F. 753 (1re inst.), aux pages 702 et 703; Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229 (1re inst.), aux pages 234 et 235 (la décision Henrie)).

[58]      Les modifications adoptées par le législateur fédéral en 2001 (Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41) et la jurisprudence ultérieure de la Cour fédérale traduisent l’évolution constante de l’article 38 vers une tendance à une plus grande divulgation, sous supervision judiciaire, des renseignements sensibles. À la différence de ce qui se faisait auparavant, la Cour examine maintenant attentivement la teneur des renseignements que le procureur général cherche à protéger, et elle procède à une appréciation indépendante et impartiale des revendications. La loi prévoit expressément la mise en balance des intérêts publics en jeu et, même lorsque l’existence d’un préjudice a été établie, elle autorise la communication des renseignements ou une mesure de rechange acceptable lorsque le juge estime que l’intérêt qu’a le public en ce qui concerne la divulgation l’emporte sur les intérêts relatifs aux relations internationales ou à la sécurité ou à la défense nationales.

[59]      Pour ce qui est de l’application des trois étapes du critère de l’arrêt Ribic aux renseignements en cause en l’espèce, le point de départ est la question de la pertinence.

L’interdiction de divulgation des renseignements prévue par la loi devrait‑elle être confirmée?

1. Les renseignements en question sont‑ils pertinents par rapport aux actions principales?

[60]      Le critère préliminaire auquel on doit répondre pour déterminer la pertinence n’est pas exigeant. La Cour doit examiner la pertinence des renseignements en question par rapport à l’instance principale. Lorsque l’affaire principale est une instance criminelle ou une instance analogue à une instance criminelle dans laquelle la liberté de l’intéressé est en jeu, comme dans le cas d’une demande d’extradition, la Cour devrait, sous réserve des dispositions législatives applicables, appliquer la norme de divulgation de la preuve que la Cour suprême du Canada a définie dans l’arrêt R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, arrêt Ribic, précité, au paragraphe 17. Cette norme est celle de savoir s’il existe une possibilité raisonnable que ces renseignements puissent aider l’accusé à présenter une défense pleine et entière (R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727, au paragraphe 30).

[61]      Comme les instances principales en l’espèce sont des actions civiles, j’estime qu’il convient d’appliquer la norme de la pertinence étant donné qu’elle se rapporte à la communication de la preuve dans un litige civil. À la Cour fédérale, sont considérés comme pertinents à l’étape de l’enquête préalable les renseignements susceptibles de permettre à la partie qui en exige la communication soit de plaider sa propre cause soit de nuire à celle de son adversaire ou de la « lancer dans une enquête » qui pourrait entraîner l’une ou l’autre de ces conséquences (paragraphe 222(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)]; Apotex Inc. c. Canada, 2005 CAF 217, aux paragraphes 15 et 16). Le raisonnement suivi dans l’arrêt Apotex en ce qui concerne la pertinence a été appliqué en Ontario, dans les anciennes Règles (voir, par exemple, Benatta v. Canada (Attorney General), 2009 CanLII 70999 (C.S. Ont.), au paragraphe 20). Cette conception de la pertinence vaut non seulement pour les renseignements qui constituent une preuve directe à l’appui des allégations des défendeurs, mais aussi dans le cas des renseignements qui permettent de tirer des inférences de fait à partir des circonstances de l’espèce.

[62]      Sous le régime des Règles de procédure civile révisées de l’Ontario, le critère est celui de savoir si les renseignements sont « pertinent[s] à l’égard d’une question en litige dans une action » (Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, paragraphes 30.02(1) [mod. par Règl. de l’Ont. 438/08, art. 26] et 31.06(1) [mod., idem, art. 30] (non souligné dans l’original)). Dans l’ancienne version des Règles, on trouvait l’expression « qui a trait à une question en litige dans une action » (non souligné dans l’original). Le nouveau critère de la « pertinence » est plus exigeant que le [traduction] « semblant de critère de la pertinence » qui s’appliquait en vertu de l’ancienne disposition des Règles (Nobel v. York University Foundation, 2010 ONSC 399 (CanLII), au paragraphe 19).

[63]      Dans le contexte de la présente affaire, les défendeurs devraient également se voir offrir la possibilité de réfuter toute allusion à des actes répréhensibles que l’on peut trouver dans les passages expurgés des documents contestés. Je relève que le juge Perell a fait allusion à la possibilité que les renseignements dont la communication a été refusée disculpent le gouvernement des actes répréhensibles (décision Abou‑Elmaati, précitée, au paragraphe 81). Ainsi, les renseignements seront également pertinents si le gouvernement peut s’en servir pour étayer sa défense dans le cadre des actions en justice intentées contre lui.

[64]      Il ne faudrait pas présumer pour autant que ces renseignements seront admissibles au procès s’ils n’ont pas été divulgués aux défendeurs. La Cour d’appel du Royaume‑Uni s’est récemment penchée sur la question dans l’affaire Al Rawi, précitée. S’agissant d’une action en dommages‑intérêts semblables aux demandes principales en cause dans la présente affaire, la Cour d’appel a jugé que la juridiction de première instance ne pouvait ordonner le huis clos pour permettre à la Couronne de contester les demandes à l’aide d’éléments de preuve secrets qui n’avaient pas été divulgués aux demandeurs.

[65]      Les renseignements qui sont nettement dénués de pertinence n’ont pas à être divulgués. Font partie de ces renseignements ceux, par exemple, qui concernent d’autres personnes ou d’autres faits et qui n’ont aucun lien avec les parties ou les faits en cause. Dans le cas qui nous occupe, les parties affirment que les renseignements expurgés des documents soumis à la Cour devraient être présumés pertinents. Dans l’ensemble, cette proposition ne m’a posé aucun problème lorsque j’ai examiné les documents. Certains des renseignements expurgés, tels que ceux concernant certains détails administratifs ou des numéros de dossier ou de téléphone, ne semblaient pas être pertinents à défaut de preuve établissant en quoi ils pouvaient être utiles aux demandeurs.

[66]      Parmi les renseignements que j’ai tenus pour très pertinents relativement aux instances principales, il y a lieu de mentionner, par exemple, les documents qui concernent l’intérêt que le SCRS a manifesté dès le départ pour M. Elmaati et qui renferment des renseignements que le Service a partagés avec d’autres organismes, tant au Canada qu’à l’étranger. Le commissaire Iacobucci a estimé que les mots employés par le Service pour partager ces renseignements laissaient à désirer. Les défendeurs quant à eux les qualifient d’incendiaires, inexacts et dénués de fondement. Sans exprimer d’avis sur le fond du litige qui oppose les parties, j’estime qu’il est évident que ces documents se rapportent à l’essentiel de la preuve présentée par M. Elmaati contre le gouvernement.

[67]      Ayant conclu que les renseignements en question sont pertinents relativement aux instances principales, la Cour doit se demander si la divulgation des renseignements porterait préjudice à des intérêts nationaux protégés.

2. La divulgation des renseignements porterait‑elle préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales?

[68]      La seconde étape du critère de l’arrêt Ribic porte sur la question de savoir si la divulgation des renseignements en question porterait préjudice aux relations internationales, ou à la défense nationale ou à la sécurité nationale, c’est‑à‑dire les trois motifs énumérés à l’article 38.06 de la Loi.

[69]      À cette fin, le juge peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu’il estime digne de foi et approprié (« reliable and appropriate »), et ce, même si le droit canadien ne prévoit pas par ailleurs son admissibilité (paragraphe 38.06(3.1) de la Loi).

[70]      Le juge qui préside un examen en vertu de l’article 38 doit accorder un poids considérable aux observations formulées par le procureur général au sujet du préjudice que causerait la divulgation, compte tenu de l’accès de ce bureau à une expertise et à des renseignements spéciaux. Il ne suffit pas d’affirmer qu’un préjudice sera causé (décision Khadr d’avril 2008, précitée, aux paragraphes 31 et 32). Le juge doit être convaincu que les avis du pouvoir exécutif sur le préjudice éventuel reposent sur des faits établis par la preuve (arrêt Ribic, précité, au paragraphe 18, citant l’arrêt Secretary of State for the Home Department v. Rehman, [2001] UKHL 47, [2002] All E.R. 122, à la page 895). La charge de persuasion repose sur le procureur général et la probabilité du préjudice est appréciée selon la norme de la raisonnabilité (arrêt Ribic, au paragraphe 19). Bien que le pouvoir d’ordonner la divulgation soit exprimé dans la loi sous forme de pouvoir discrétionnaire, la Cour d’appel fédérale a jugé que l’autorisation de divulgation sera donnée si la divulgation des renseignements ne causerait aucun préjudice aux intérêts protégés (arrêt Ribic, précité, au paragraphe 20; voir également la décision Khadr de juin 2008, précitée, au paragraphe 52).

[71]      Les défendeurs affirment que la Cour devrait tenir compte du fait que les renseignements en question dans la présente instance remontent à un certain temps. Aucune accusation n’a été portée contre les défendeurs et aucune autre mesure n’a été prise contre eux depuis une dizaine d’années malgré le fait que des services de sécurité ont eu recours à des techniques d’enquête exceptionnelles avec la collaboration d’organismes étrangers. Il s’agit là d’une considération valable. La nécessité de protéger les renseignements peut perdre de son importance compte tenu du temps écoulé et de l’évolution de la situation (décision Khadr d’avril 2008, précitée, au paragraphe 84).

[72]      Les défendeurs font valoir que la communauté internationale exige qu’il appartienne à l’État de démontrer que « l’information en question constitue une sérieuse menace à un intérêt légitime de sécurité nationale » pour qu’on puisse restreindre l’accès du public aux documents du gouvernement. Un intérêt de sécurité nationale n’est légitime que si « son véritable but et son effet démontrable [sont] de protéger l’existence d’un pays ou son intégrité territoriale contre l’usage ou la menace d’usage de la force ». À mon avis, on insiste trop sur l’obligation faite à l’État de justifier la restriction à la liberté d’information.

[73]      Les mots cités au paragraphe qui précède sont tirés d’un document des Nations Unies intitulé Les Principes de Johannesburg relatifs à la sécurité nationale, à la liberté d’expression et à l’accès à l’information, Doc. NU E/CN.4/1996/39, annexe (les Principes de Johannesburg). Cette déclaration de principe faisait suite à une réunion de juristes qui avait été organisée à Johannesburg en 1996 par un organisme de lutte contre la censure. Cette déclaration est fréquemment utilisée pour interpréter l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47, mais elle n’a pas de statut officiel en droit interne ou en droit international.

[74]      Notre Cour a formellement cité le Principe 2b) des Principes de Johannesburg à l’appui de la proposition que les gouvernements ne peuvent refuser de divulguer des renseignements à des fins indirectes (décision Arar, précitée, au paragraphe 60). Le Principe 2b) dispose qu’une restriction à la liberté d’expression ou à l’accès à l’information n’est pas légitime si son seul but est de protéger des intérêts ne concernant pas la sécurité nationale, par exemple de protéger un gouvernement de l’embarras ou de la découverte de ses fautes, ou pour dissimuler des informations sur le fonctionnement des institutions publiques. Toutefois, en citant ce principe, la Cour n’a pas adhéré à la conception étroite des intérêts légitimes de sécurité nationale énoncée ailleurs dans la déclaration.

[75]      L’avis des experts au sujet de ce qui constitue un intérêt légitime de sécurité nationale a été expressément écarté par la juge Danièle Tremblay‑Lamer dans la décision Charkaoui (Re), 2009 CF 342, [2010] 3 R.C.F. 67, au paragraphe 78. J’abonde dans son sens lorsqu’elle affirme que la définition de la déclaration de Johannesburg est trop restrictive et qu’elle ne tient pas compte des autres raisons pouvant justifier la protection de la confidentialité de renseignements qui sont considérés comme privilégiés en droit canadien.

[76]      Pour interpréter le sens de l’expression « danger pour la sécurité du Canada », la juge Arbour a déclaré, au nom de la majorité, dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 88 à 90 (l’arrêt Suresh), que cette expression devait recevoir une interprétation souple. Exiger comme critère une preuve directe que la menace vise précisément le Canada fixerait la barre trop haut. La menace doit être grave, en ce sens qu’elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve et que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable.

[77]      On doit comprendre du fait que le législateur fédéral mentionne à la fois la sécurité et la défense en tant qu’intérêts nationaux à protéger que ces termes ne sont pas synonymes. Dans la décision Arar, précitée, au paragraphe 62, le juge Noël cite la définition de l’expression « national defence » (défense nationale) que l’on trouve dans la 7e édition du Black’s Law Dictionary, [traduction] « [t]ous les moyens pris par une nation pour se protéger contre ses ennemis », ce qui englobe la protection, par une nation, de son idéal collectif et de ses valeurs collectives. Ce dernier aspect de cette définition correspond davantage au sens de l’expression « sécurité nationale » qu’à celui des mots « défense nationale », mais il rend compte de la vaste acception de cette expression.

[78]      La sécurité nationale est un concept large et intrinsèquement vague qui ne se prête à aucune définition précise. Je ne doute toutefois pas que ce concept englobe des intérêts qui vont au‑delà de l’intégrité territoriale ou la capacité de répondre à l’usage ou à la menace d’usage de la force. Au Canada, cette notion s’entend notamment de [traduction] « la préservation d’un mode de vie acceptable pour la population canadienne » et de [traduction] « la protection de nos valeurs et nos principales institutions » (voir l’analyse de Craig Forcese, « Canada’s National Security “Complex”: Assessing the Secrecy Rules » (2009), 15 IRPP Choices 1, à la page 7; voir aussi la décision Arar, précitée, aux paragraphes 63 à 68). Le juge Noël a conclu, au paragraphe 68 de la décision Arar, que la sécurité nationale s’entendait au minimum de la préservation du mode de vie canadien, notamment de la protection de la sécurité des personnes, des institutions et des libertés au Canada. Je souscris à cette conclusion.

[79]      Le troisième intérêt national dont on doit tenir compte est le risque de préjudice aux relations internationales du Canada. Là encore, on ne peut considérer cette notion comme synonyme de celles de défense nationale ou de sécurité nationale. Le législateur fédéral a jugé nécessaire de protéger les renseignements sensibles qui porteraient préjudice aux relations étrangères du Canada s’ils étaient divulgués publiquement, conformément aux conventions admises en matière de secret diplomatique.

[80]      Cette protection s’étend aux échanges libres et ouverts de renseignements et d’avis entre les diplomates canadiens et d’autres fonctionnaires et leurs homologues étrangers, sans lesquels le Canada ne pourrait participer efficacement aux affaires internationales. Une protection semblable est prévue dans la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A‑1, aux articles 13 [mod. par L.C. 2005, ch. 1, art. 107; ch. 27, art. 16, 22; 2006, ch. 10, art. 32; 2008, ch. 32, art. 26] et 15, où elle est formulée en termes d’obligation et de pouvoir discrétionnaire. À défaut de consentement, le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements obtenus à titre confidentiel des gouvernements des États étrangers ou de leurs organismes (article 13). Le responsable d’une institution fédérale peut par ailleurs refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales (article 15).

[81]      En règle générale, les renseignements qui se trouvent déjà dans le domaine public ne peuvent être protégés contre la divulgation parce qu’on présumera, sous réserve de preuves contraires, qu’une divulgation de plus ne causera pas de préjudice. On songe en particulier à la situation dans laquelle la Couronne a divulgué certains documents délibérément au cours de l’instance (Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 57, [2002] 3 R.C.S. 3, au paragraphe 26). Mais il peut exister d’autres situations dans lesquelles les renseignements ont déjà été communiqués au public et dans lesquelles le préjudice causé par leur divulgation, s’il en est, a déjà eu lieu. Dans l’affaire Mohamed, précitée, par exemple, des renseignements connexes avaient déjà été communiqués au cours d’un procès se déroulant aux États‑Unis et l’on pouvait discerner la substance des passages censurés en question en lisant la partie publique du jugement du tribunal de première instance. La Cour d’appel a ordonné la communication des passages en question pour cette raison et parce qu’elle n’était pas convaincue qu’un préjudice en découlerait.

[82]      La présomption suivant laquelle la divulgation de renseignements faisant déjà partie du domaine public ne causera pas d’autre préjudice n’est pas irréfutable. Ainsi que le juge Noël l’a fait observer dans la décision Arar, précitée, au paragraphe 56 :

Maintes circonstances justifieraient la protection de renseignements qui relèvent du domaine public, par exemple les suivantes : une partie seulement des renseignements a été divulguée au public; les renseignements ne sont pas généralement connus ou accessibles; l’authenticité des renseignements n’est ni confirmée ni démentie; enfin, les renseignements ont été divulgués par inadvertance.

[83]      Dans le contexte de la présente affaire, les défendeurs affirment que plusieurs des documents qui ont été fortement censurés renferment une mention suivant laquelle les renseignements qu’ils contiennent ont été fournis, notamment, par le SCRS aux tribunaux ou à d’autres organismes gouvernementaux au motif qu’on prévoyait qu’ils seraient utilisés dans le cadre d’un procès. Les défendeurs y voient une renonciation à prétendre que ces renseignements permettent d’invoquer un privilège d’intérêt public. Dans le même ordre d’idées, ils affirment que les défenses déposées dans les actions principales citent certains des renseignements refusés et se fondent sur eux. Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire qu’il s’agit là de considérations pertinentes pour déterminer si les présumés préjudices peuvent être établis.

[84]      Chacun des auteurs des affidavits publics a identifié des catégories de renseignements qui, à son avis, sont susceptibles de porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou la sécurité nationales du Canada. Des éléments de preuve semblables mais plus précis ont été admis à huis clos. L’affidavit public que Bradley Evans a souscrit au nom du SCRS énumère des catégories de renseignements qui, selon ce que craint le SCRS :

a. révéleraient ou tendraient à révéler l’intérêt du Service en ce qui concerne certains individus, groupes ou sujets, y compris l’existence ou l’inexistence de dossiers actuels ou passés, l’intensité des enquêtes ou le degré de succès ou l’insuccès des enquêtes;

b. révéleraient ou tendraient à révéler les modes de fonctionnement et les techniques d’enquête utilisées par le Service;

c. révéleraient ou tendraient à révéler les rapports que le Service entretient avec d’autres services de police, de sécurité ou de renseignement et divulguerait des renseignements échangés sous le sceau du secret avec ces organismes;

d. révéleraient ou tendraient à révéler des employés, des procédures internes et des méthodes administratives du Service, comme des noms et des numéros de dossiers;

e. révéleraient ou tendraient à révéler les sources humaines des renseignements du Service ou le contenu des renseignements fournis par des sources humaines qui, s’ils étaient divulgués, pourraient permettre d’identifier les sources humaines en question.

[85]      Les auteurs des affidavits publics de la GRC ont fait état de leurs préoccupations au sujet des renseignements obtenus d’organismes étrangers, des renseignements portant sur des membres de la GRC et ceux provenant de sources humaines. Un gestionnaire du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (le MAECI) a expliqué que le Ministère souhaitait faire protéger certains renseignements sensibles au motif que leur divulgation porterait préjudice aux relations internationales du Canada. Un affidavit a été souscrit par un représentant de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) au sujet de certains renseignements opérationnels que l’ASFC souhaitait protéger.

[86]      Un agent des Forces armées canadiennes (les Forces ou les FC) a expliqué que les Forces et le ministère de la Défense nationale (MDN) étaient préoccupés par certains renseignements qui permettraient d’identifier le potentiel et les opérations militaires en Afghanistan ou de compromettre la sécurité des personnes engagées dans ces opérations. Si j’ai bien saisi leurs arguments, les défendeurs ne remettent pas en question la nécessité de protéger les renseignements qui peuvent se trouver dans les documents censurés et qui portent sur le potentiel et les opérations militaires ou qui permettraient d’identifier le personnel militaire. Je suis convaincu que ces renseignements sont tout à fait secondaires par rapport aux questions en litige dans les demandes civiles principales et qu’elles n’ont aucune valeur comme preuves. J’estime également que le risque de préjudice a été établi et que l’intérêt public à ce que les renseignements soient divulgués ne l’emporte pas.

[87]      Dans le contexte d’une instance portant sur un certificat de sécurité, Harkat (Re), 2005 CF 393, au paragraphe 89, la juge Eleanor Dawson donne des exemples de renseignements dont on doit selon elle préserver le caractère confidentiel :

1.    Les renseignements provenant de sources humaines, lorsque leur divulgation permettrait d’identifier la source et risquerait de mettre sa vie en danger […] La mise en danger d’une source humaine risque en outre de dissuader d’autres sources ou sources potentielles de renseignements, qui auront scrupule à fournir des informations s’ils ne sont pas sûrs que leur identité sera protégée.

2.    Les renseignements provenant d’agents du Service, lorsque la divulgation permettrait d’identifier l’agent et mettrait sa vie en péril.

3.    Les renseignements concernant des enquêtes en cours lorsque la divulgation de ces renseignements alerterait ceux qui agissent contre les intérêts du Canada, leur permettant de se soustraire aux recherches.

4.   Les secrets transmis par des pays étrangers ou des services de renseignement étrangers, lorsque la divulgation non autorisée de ces renseignements porterait ces pays ou ces services à ne plus confier de secrets à un destinataire qui n’est pas digne de confiance ou qui n’est pas à même d’en assurer la confidentialité […]

5.    Les renseignements concernant les techniques et les moyens de surveillance ainsi que certaines méthodes ou techniques d’enquête employées par le Service, lorsque cette divulgation aiderait à se soustraire à la détection, à la surveillance ou à l’interception de leurs communications, des personnes ayant attiré l’attention du Service.

[88]      Ces facteurs sont fréquemment cités dans les instances dans lesquelles la confidentialité des documents gouvernementaux est en cause. De prime abord, ils sont semblables aux catégories de risques énumérées par M. Evans et par les autres témoins du gouvernement dans leur témoignage. Les facteurs énumérés dans la décision Harkat exigent que l’on conclue de façon péremptoire que la divulgation des renseignements causerait un préjudice. C’est également la conclusion que la Cour doit tirer lorsqu’elle applique le second volet du critère de l’arrêt Ribic. Il ne suffit pas de cerner le risque éventuel, bien que les fonctionnaires puissent utiliser cette norme pour revendiquer un privilège au titre de l’intérêt public.

[89]      Les défendeurs ont soulevé plusieurs questions en ce qui concerne la prétention du demandeur suivant laquelle la divulgation des renseignements entrant dans les catégories identifiées par les témoins dans leur témoignage public causerait un préjudice. Je vais examiner les questions que j’estime nécessaire d’aborder dans la mesure où je peux le faire dans les présents motifs publics.

a) Qualité de la preuve

[90]      Les défendeurs affirment que les affidavits publics soumis par le demandeur ont une qualité délibérément faible en tant que preuves et qu’ils ne satisfont pas aux normes exigées par la règle 81 [mod. par DORS/2009-331, art. 2] des Règles des Cours fédérales. Ils se fondent sur le fait que les trois personnes qui ont souscrit des affidavits au nom du SCRS, de la GRC et du MAECI n’avaient aucune connaissance personnelle des faits en question et qu’aucune d’entre elles n’a participé aux événements se rapportant à la détention des trois demandeurs principaux et qu’aucune n’a joué un rôle lors des travaux de la Commission O’Connor ou lors de l’enquête Iacobucci. Elles n’ont pas participé directement aux réponses données aux recommandations formulées dans les rapports d’enquête en question. À l’exception du souscripteur d’affidavit de la GRC, aucune de ces personnes n’avait pris connaissance de la série de documents qui ont été produits aux fins de divulgation. Le souscripteur d’affidavit du SCRS avait lu le document 171. Lui et l’auteur de l’affidavit du MAECI se sont fiés aux renseignements fournis par d’autres personnes à l’appui de leurs déclarations au sujet des catégories de renseignements qu’ils cherchaient à protéger.

[91]      On a exhorté la Cour à n’accorder aucun poids à ces éléments de preuve ou à les radier purement et simplement au motif que les déclarants n’ont pas l’indépendance, la compétence ou les connaissances factuelles voulues pour donner un témoignage d’expert approprié sur les questions soumises à la Cour. Les défendeurs affirment que les affidavits publics consistent en un plaidoyer et non en un témoignage et qu’ils n’ont donc aucune valeur sauf dans la mesure où ils peuvent étayer la thèse du procureur général au sujet des catégories d’intérêts susceptibles d’être protégées.

[92]      Aux termes du paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui. Le paragraphe 81(2) prévoit que lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables. Suivant la jurisprudence, l’obligation que les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle n’exclut pas la preuve par ouï‑dire (Éthier c. Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 C.F. 659 (C.A.)). De plus, les raisons pour lesquelles la meilleure preuve n’est pas disponible peuvent ressortir du contexte (Lumonics Research Limited c. Gould, [1983] 2 C.F. 360 (C.A.)).

[93]    Dans le contexte particulier des demandes prévues à l’article 38, je crois qu’il est évident que le demandeur n’est pas en mesure de proposer, en vue de les soumettre à un contre‑interrogatoire, des souscripteurs d’affidavits publics qui peuvent avoir une connaissance personnelle des faits ou des événements en cause en ce qui concerne les passages expurgés des documents en litige. Cette situation s’explique par le fait que ces personnes risquent de divulguer par inadvertance les renseignements mêmes que le demandeur cherche à protéger. La pratique de la Cour en la matière consiste à ne pas considérer ces souscripteurs d’affidavits comme des experts, mais comme des témoins représentatifs qui témoignent de façon générale au sujet de la nature des raisons pour lesquelles un privilège est revendiqué. En ce sens, leur témoignage est utile tant pour le tribunal que pour les défendeurs, mais il n’a pas beaucoup de poids en ce qui concerne des revendications de privilège précises.

[94]      On se souviendra qu’il n’y a pas si longtemps ce genre d’audience se déroulait entièrement à huis clos. La décision du juge en chef Lutfy de donner une interprétation atténuée des dispositions législatives qui exigeait le secret des audiences a eu comme effet salutaire de rendre le processus beaucoup plus transparent et ouvert (décision Toronto Star, précitée). Mais il ne s’agit pas d’un procès ou d’un contrôle judiciaire dans lesquels les normes habituelles d’admissibilité de la preuve s’appliquent. L’article 38 constitue en fait un code complet portant sur la détermination des questions de privilège d’intérêt public. Ce code prévoit nécessairement des audiences à huis clos au cours desquelles la Cour peut entendre des témoins qui connaissent bien la teneur des documents en cause et qui peuvent analyser à fond les renseignements en question. C’est dans cette situation que la Cour doit déterminer si la qualité de la preuve du demandeur est suffisante pour faire droit à ses prétentions.

b) Retenue

[95]      Suivant la jurisprudence, pour décider si la divulgation est susceptible de porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, la Cour doit accorder un poids considérable aux observations du procureur général, parce qu’il a accès à des sources particulières d’information et d’expertise (arrêt Suresh, précité, au paragraphe 31; voir aussi la décision Mohamed, précitée, au paragraphe 174). Le procureur général exerce un rôle de protecteur en ce qui concerne la sécurité du public (arrêt Ribic, au paragraphe 19). Cela étant dit, des questions se posent naturellement. Quel est le degré de retenue approprié? Comment la retenue s’applique‑t‑elle concrètement à un renseignement déterminé? La nature de l’instance principale a‑t‑elle une incidence?

[96]      Les défendeurs affirment que la procédure suivie par le procureur général pour déterminer et soumettre ses observations en vue de refuser la divulgation de certains renseignements est entachée d’irrégularités qui réduisent, voire éliminent, la retenue dont notre Cour pourrait ou devrait faire preuve en ce qui concerne l’appréciation du risque faite par le demandeur.

[97]      La principale faille qui, selon les défendeurs, devrait limiter le degré de retenue est le fait que l’évaluation de la question de savoir si la divulgation entraînerait un préjudice est déléguée à des fonctionnaires du ministère de la Justice et d’autres ministères. Comme nous l’avons déjà expliqué, le pouvoir d’agir au nom du procureur général est expressément délégué aux hauts fonctionnaires de son ministère qui sont chargés du contentieux et qui agissent sur le conseil et conformément aux directives que leur donnent les fonctionnaires d’autres ministères et organismes qui sont chargés de ces questions. Ces fonctionnaires examinent les documents pour déceler les « renseignements potentiellement préjudiciables » et les « renseignements sensibles » qui, à leur avis, devraient être retranchés. Il s’agit d’une tâche administrative qui est essentiellement exécutée par le personnel et les gestionnaires jusqu’au niveau de directeur. Les ministres et les sous‑ministres n’interviennent pas directement.

[98]      Les défendeurs affirment que, suivant le contre‑interrogatoire des souscripteurs des affidavits publics du demandeur, lors de l’examen des documents produits lors de l’enquête préalable, les fonctionnaires en question ne se demandent pas si la divulgation d’un renseignement particulier serait préjudiciable. Ils se demandent plutôt si les renseignements entrent dans une ou dans plusieurs des catégories prédéterminées. Les défendeurs font valoir que ces décisions sont acceptées telles quelles par les fonctionnaires du ministère de la Justice, qui agissent au nom du procureur général. Les défendeurs soutiennent que le procureur général a abdiqué sa responsabilité d’évaluer si la divulgation causerait un préjudice aux intérêts nationaux protégés. Ils soutiennent qu’en conséquence, il n’y a pas lieu de faire preuve d’un degré élevé de retenue en ce qui concerne les décisions qui sont prises en son nom, si tant est qu’on doive faire preuve de quelque retenue que ce soit envers elles.

[99]      Il est exact de dire, comme les défendeurs le font valoir, qu’en common law, les revendications de privilège fondées sur l’intérêt public nécessitaient la délivrance d’un certificat par le ministre compétent qui atteste que la divulgation des renseignements en cause porterait préjudice à un intérêt gouvernemental important. C’est l’usage qui a toujours cours au Royaume‑Uni et aux États‑Unis. L’argument veut que le fait de soumettre les revendications de privilège à un examen à chaque palier des ministères permette de ne retenir que celles qui sont crédibles et importantes et pour lesquelles le ministre aurait en définitive à rendre compte dans le cadre du processus politique. On évite ainsi les revendications excessives systémiques que l’usage actuel favorise, selon les défendeurs.

[100]   Il est de jurisprudence constante qu’on ne s’attend pas à ce qu’un ministre exerce les nombreux et divers pouvoirs qui lui sont conférés à moins d’y être tenu par la loi qui lui confère les pouvoirs en question (Carltona, Ltd. v. Commissioners of Works, [1943] 2 All E.R. 560 (C.A.); R. c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238; Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12). Le principe établi dans l’arrêt Carltona est consacré au paragraphe 24(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 89] de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21.

[101]   Je crois qu’il ressort à l’évidence de la jurisprudence qu’en common law, les ministres étaient investis du pouvoir discrétionnaire de délivrer un certificat en identifiant une vaste catégorie de documents pour lequel le privilège était réclamé alors que, selon l’usage actuel, il suffit d’identifier des parties du contenu des documents. Par exemple, dans l’affaire Carey, précitée, le gouvernement cherchait à protéger tous les documents portant sur l’opération en cause. Les revendications n’étaient pas fondées sur le genre d’évaluation approfondie de chaque renseignement à laquelle on procède maintenant, mais plutôt sur une catégorie de documents. De nos jours, pour faciliter le processus, ceux qui procèdent à l’évaluation se fondent sur la catégorisation des types de renseignements au sujet desquels on a déjà conclu qu’ils risquaient de porter préjudice à des intérêts protégés.

[102]   Selon moi, il est permis de douter que la participation personnelle des ministres au processus permettrait de supprimer ou de réduire les revendications excessives systémiques, comme les défendeurs le laissent entendre. Cette préoccupation est soulevée le plus souvent dans le cas de renseignements provenant de tiers, lorsqu’on soutient que les renseignements sensibles faisant l’objet de mises en garde explicites ou implicites ne seraient plus fournis par les services de renseignements associés s’ils étaient divulgués. Les gouvernements s’en remettent aux renseignements qui leur sont régulièrement fournis aux termes d’ententes d’échange de renseignements (voir, par exemple, la controverse qui a été déclenchée au Royaume‑Uni au sujet de la divulgation de renseignements communiqués par les États‑Unis dans l’affaire Mohamed : « Hillary Clinton made security help “threat” to David Miliband over Binyam Mohamed case », The Telegraph (29 juillet 2009); « U.K. Move Could Hinder U.S. Intelligence Sharing », The Wall Street Journal (11 février 2010)). Même à la suite du changement de gouvernement, les répercussions de la décision Mohamed continuent à préoccuper les ministres britanniques (voir « Handing foreign intelligence to British courts to be made illegal », The Telegraph (7 juillet 2010)).

[103]   Le fait que l’évaluation de la probabilité de préjudice ne soit pas effectuée personnellement par le procureur général mais plutôt par un fonctionnaire d’un ministère n’a aucune incidence, à mon avis, sur la question de savoir s’il convient de faire preuve de retenue à l’égard de pareille évaluation. Les ministres consultent leurs fonctionnaires sur des questions comme celle‑ci, et l’accès à l’expertise et aux renseignements spéciaux auxquels la Cour d’appel a fait allusion dans l’arrêt Ribic, précité, participe non pas d’une démarche personnelle, mais d’un mécanisme institutionnel. Les ministres et les sous‑ministres se succèdent et il est peu probable qu’ils acquièrent des connaissances suffisantes des questions ayant trait au renseignement pour être en mesure de déterminer si la divulgation risque ou non de causer un préjudice. Ils doivent s’en remettre aux fonctionnaires qui effectuent ce travail de façon quotidienne et qui deviennent habiles à déterminer les conséquences qu’entraînerait une interruption de l’échange de renseignements secrets précieux provenant de partenaires étrangers et à discerner ce qui peut par ailleurs se révéler problématique du point de vue de la sécurité ou des relations internationales.

[104]   Je ne suis pas d’accord avec les défendeurs pour dire que [traduction] « la procédure suivie vide de leur sens les dispositions applicables en matière d’avis et d’autorisation ». À mon avis, l’article 38.01 a été délibérément rédigé de façon large pour permettre de donner un avis portant que des renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables risquent d’être divulgués dans le cadre d’une instance par un « participant » ou par un « fonctionnaire ». Les défendeurs présument que le terme « fonctionnaire » dans le contexte de l’article 38.01 s’entend uniquement d’un employé d’un des ministères ou des organismes qui sont des clients des services juridiques du ministère de la Justice. C’est inexact. La loi ne prévoit pas de procédure qui permet de faire état de l’existence de renseignements sensibles ou de renseignements potentiellement préjudiciables sur simple avis adressé par un fonctionnaire qui est un employé d’un ministère autre que le ministère de la Justice.

[105]   Le membre d’une équipe du contentieux qui est un « participant » peut donner un tel avis, ce qui n’empêche pas pour autant un fonctionnaire qui ne participe pas au litige mais qui est par ailleurs employé du ministère de la Justice de donner cet avis. Bien que l’exception prévue à l’alinéa 38.01(6)c) permette à l’institution fédérale qui a produit les renseignements ou pour laquelle ils ont été produits d’autoriser leur divulgation, cette disposition vient compléter le régime général dans le cadre duquel le procureur général peut autoriser la divulgation.

[106]   Les défendeurs expriment des réserves au sujet du moment où les avis ont été donnés en l’espèce, surtout dans le cas du document 171. L’avis portant sur ce document a été donné un mois après la divulgation du document. Les défendeurs soutiennent que le paragraphe 38.01(3) ne parle pas d’avis portant sur les renseignements qui « ont été » divulgués mais qu’il se limite aux renseignements qui « peuvent » être divulgués à l’avenir. Dans le contexte de leur demande visant à soumettre ex parte des observations écrites au sujet de la teneur du document 171, les défendeurs qualifient par ailleurs de « dépourvues de tout fondement » les craintes du demandeur que cette mesure se traduise par une autre divulgation non autorisée. Je ne suis pas convaincu que ce soit le cas. Il me semble que le régime législatif prévoit le recours à la procédure d’envoi d’un avis pour empêcher la divulgation de renseignements potentiellement préjudiciables ou de renseignements sensibles, et ce, que ces renseignements aient déjà été divulgués ou non. Il revient ensuite à la Cour de déterminer si la divulgation passée vicie ou mine l’argument relatif à l’existence d’un préjudice ou, si elle est convaincue qu’un préjudice serait quand même causé, si, à tout prendre, l’intérêt public milite en faveur de la divulgation.

[107]   Dans le contexte particulier de la présente affaire, j’estime qu’il n’y avait rien d’irrégulier à faire organiser par les membres de l’équipe du contentieux le processus par lequel les documents seraient examinés par les fonctionnaires du ministère. Ils étaient chargés de remplir l’obligation du procureur général de produire les documents dans le cadre de l’enquête préalable et ils avaient l’avantage d’avoir participé à l’enquête Iacobucci au cours de laquelle tous ces documents avaient été produits en vue d’être examinés par la Commission. Il convenait aussi qu’ils procèdent à l’identification initiale des documents pouvant contenir des renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables. C’est au procureur général qu’il revient en fin de compte de formuler ces revendications par le truchement des fonctionnaires qu’il délègue.

[108]   Il est évident que des revendications inutilement larges ont été formulées au début du présent processus tout comme c’était le cas dans d’autres instances, ainsi que le démontre le fait que le procureur général a depuis supprimé le caviardage dans 92 documents, après avoir conclu que la divulgation des renseignements expurgés ne causerait aucun préjudice. Je maintiens donc les réserves que j’ai exprimées dans d’autres affaires au sujet des revendications excessives. J’attribue ce phénomène, dans la plupart des cas, au fait que les fonctionnaires qui examinent les documents au départ et leurs conseillers juridiques font preuve d’une prudence excessive. Il faut, pour ce faire, revoir constamment la décision d’autoriser ou non la divulgation, ce qui retarde indûment les demandes soumises à notre Cour ainsi que le déroulement des instances principales. On pourra éviter en grande partie tout cela en faisant examiner de plus près les demandes et les motifs à l’appui dès le départ par de hauts fonctionnaires. Il s’agit d’une responsabilité gouvernementale importante pour laquelle il faut prévoir des ressources suffisantes.

[109]   Pour illustrer le fait que, comme les défendeurs l’ont souligné, des revendications excessives systémiques sont présentées, M. Evans a admis, en contre‑interrogatoire, que le SCRS ne tient pas compte des questions suivantes lorsqu’il procède à l’examen des documents :

• le temps écoulé depuis l’ouverture de l’enquête;

• le fait que les renseignements ou le mode de fonctionnement en question sont déjà connus du public;

• le fait que les renseignements concernent des modes de fonctionnement qui n’ont plus cours et des politiques qui ne sont plus en vigueur par suite des lacunes ou des failles qui ont été relevées;

• la question de savoir si l’utilisation de pseudonymes offrirait à une source secrète une protection suffisante.

[110]   Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire qu’il s’agit là de facteurs utiles pour déterminer si un préjudice serait causé à des intérêts protégés. M. Evans a également confirmé que, dans son organisme du moins, le processus d’examen s’effectue principalement par l’application des catégories qu’il a identifiées dans son affidavit aux renseignements contenus dans les documents. Il en résulte inévitablement une évaluation trop large du risque jusqu’au moment où cette décision est révisée. Toutefois, contrairement aux prétentions des défendeurs, je ne vois aucune incompatibilité entre un examen fondé sur le motif que la divulgation « serait susceptible » de causer un préjudice et le critère que la Cour doit employer en vertu du paragraphe 38.06(1) et suivant lequel la divulgation « porterait préjudice ». Les fonctionnaires doivent employer la norme suivant laquelle la divulgation « serait susceptible » (de porter préjudice) parce que c’est l’expression employée dans la définition des « renseignements potentiellement préjudiciables » à l’article 38 pour laquelle ils sont autorisés à donner leur avis en vertu du paragraphe 38.01(1).

[111]   C’est en fin de compte au procureur général qu’il appartient de décider d’autoriser la divulgation des renseignements et, s’il ne l’autorise pas, de demander à la Cour de confirmer cette décision. Je suis convaincu que les hauts fonctionnaires à qui cette responsabilité a été déléguée prennent au sérieux la tâche confiée au procureur général et qu’ils ne s’en remettent pas simplement aux catégorisations retenues par d’autres ministères et organismes de manière à revendiquer sans discernement des privilèges. J’ai constaté que ce processus fonctionne efficacement dans plusieurs cas, et qu’il s’ensuit que le procureur général prend des décisions, en matière de divulgation, qui sont indépendantes des opinions exprimées par les fonctionnaires des ministères. Cela étant dit, le processus prend beaucoup trop de temps, ce qui provoque le genre de frustration exprimée tant par les défendeurs que par les tribunaux et les commissions d’enquête publique chargées d’examiner ces questions.

[112]   Il n’y a aucun élément de preuve dans le dossier qui m’a été soumis pour appuyer la prétention des défendeurs suivant laquelle le procureur général a tenté d’empêcher la divulgation de renseignements embarrassants ou de renseignements défavorables à la défense du gouvernement dans l’action civile principale, par le biais de revendications de sécurité nationale injustifiées. Mais, comme nous l’avons déjà dit, même lorsque la divulgation de renseignements mettrait le gouvernement dans l’embarras, elle peut quand même faire l’objet d’une réclamation valide fondée sur l’article 38, à condition que le fait d’éviter d’être plongé dans l’embarras ne soit pas « la seule ou la véritable raison » pour laquelle le procureur général ne veut pas divulguer les renseignements (décision Khadr d’avril 2008, précitée, au paragraphe 89). J’estime qu’il n’y a aucune raison d’appliquer ce principe en l’espèce.

[113]   Dans le contexte particulier de la présente affaire, il y a également lieu de se demander jusqu’à quel point il convient de faire preuve de retenue envers les décisions prises par le commissaire Iacobucci au sujet de la divulgation. Le juge Noël a abordé cette question dans la décision Arar, précitée, aux paragraphes 29 à 36, relativement aux conclusions de la Commission O’Connor. Je souscris à sa conclusion, à savoir que la Cour n’a pas à faire preuve de retenue à l’égard des conclusions du commissaire, compte tenu des obligations imposées à la Cour par la loi, du fait que les témoignages qui ont été entendus en audience publique et à huis clos étaient différents et que le processus régissant la demande prévue à l’article 38 n’était pas un contrôle judiciaire du rapport O’Connor. Il ne faut pas pour autant penser que les conclusions du commissaire Iacobucci ne peuvent éclairer la Cour, surtout lorsque, comme en l’espèce, les renseignements que le gouvernement cherche à protéger font maintenant partie du domaine public avec la publication de son rapport et du supplément qui l’accompagne.

[114]   Les défendeurs citent un rapport majoritaire du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, Examen des constats et recommandations émanant des enquêtes Iacobucci et O’Connor : Rapport du Comité permanent de la sécurité publique et nationale (juin 2009), qui recommandait que le gouvernement du Canada présente officiellement ses excuses aux trois défendeurs principaux et leur verse une indemnité pour les souffrances qu’ils avaient endurées. Bien que le rapport témoigne d’un appui, quoique non unanime, du Parlement en faveur des conclusions du commissaire Iacobucci, il n’aide pas la Cour à répondre aux questions qui lui sont soumises en l’espèce. Il reflète tout au plus un énoncé de politique et, peut‑être, une opinion populaire qui est sans rapport avec la tâche qui m’est confiée.

c) L’« effet de mosaïque »

[115]   Comme c’est souvent le cas avec ces demandes, les personnes qui ont souscrit des affidavits publics au nom du demandeur affirment que, pour se former une opinion sur le risque que la divulgation des renseignements en question porte préjudice à la sécurité nationale, elles ont tenu compte de l’« effet de mosaïque ». Ainsi que Craig Forcese l’explique dans son ouvrage National Security Law: Canadian Practice in International Perspective (Toronto : Irwin Law, 2008), aux pages 419 et 420, lorsqu’il est invoqué par le gouvernement, ce concept part du principe que la divulgation de renseignements mêmes anodins peut compromettre la sécurité nationale lorsqu’un observateur informé les associe avec d’autres données. Il en résulte une [traduction] « mosaïque de bribes de renseignements anodins qui, cumulativement, révèlent des questions ayant une véritable importance sur le plan de la sécurité nationale » (National Security Law, à la page 420).

[116]   Voici comment M. Evans explique l’effet de mosaïque dans son affidavit :

[traduction] On ne peut évaluer dans l’abstrait ou isolément les dommages causés par la divulgation de renseignements. On doit présumer que les renseignements se retrouveront entre les mains de personnes qui connaissent les cibles du Service et les activités des commissions d’enquête, dont la présente. Entre les mains d’un observateur bien informé, des renseignements apparemment sans rapport entre eux, qui en eux‑mêmes ne sont peut‑être pas particulièrement sensibles, pourraient, pris collectivement, servir à dépeindre un tableau plus précis lorsqu’ils sont juxtaposés à des renseignements que connaît déjà la personne qui en prend connaissance ou lorsque cette dernière les compare ou les ajoute à ceux qu’elle possède déjà ou qu’elle peut obtenir d’une autre source.

[117]   Les défendeurs affirment que la Cour devrait faire preuve de prudence avant d’invoquer le soi‑disant « effet de mosaïque » pour conclure à l’existence d’un préjudice ou pour refuser la communication de renseignements. Le rapport d’enquête de la Commission Major, précité, signale, au vol. III, aux pages 175 et 176, que les tribunaux sont de plus en plus sceptiques face à cette théorie, citant mes propos dans la décision Khawaja, précitée, au paragraphe 136, et ceux du juge Noël dans la décision Arar, précitée, au paragraphe 84. La Commission s’est également montrée sceptique au sujet de la validité de l’effet de mosaïque faute d’éléments de preuve tendant à en démontrer l’existence.

[118]   L’effet de mosaïque peut être une évidence difficile à prouver ou à réfuter. Le problème se pose en l’espèce. Comment la Cour peut‑elle déterminer si la divulgation d’un renseignement donné comblera une lacune dans les connaissances d’une autre personne? Hormis le fait qu’ils ont cité ce principe, les témoins qui ont été entendus dans la présente affaire et dans d’autres n’ont en règle générale pas réussi à aider la Cour à résoudre ce dilemme. Dans la décision Khawaja, précitée, voici ce que j’ai dit, au paragraphe 136 : « l’effet de mosaïque ne constitue pas en général, par lui‑même […] une raison suffisante d’empêcher la divulgation de ce qui semblerait par ailleurs constituer un renseignement anodin. Il faut aussi dire pourquoi ce renseignement particulier ne doit pas être divulgué ». Je suis toujours de cet avis.

[119]   M. Evans a reconnu en contre‑interrogatoire que l’effet de mosaïque peut également jouer dans l’autre sens lorsque des renseignements sont supprimés, par exemple, par caviardage. Ainsi, comme les défendeurs l’affirment, la Cour doit être sensible à la possibilité que des renseignements qui peuvent être clairs et pertinents si tout le contexte devait être divulgué puissent devenir obscurs, équivoques et même trompeurs lorsqu’un élément du contexte est supprimé. Dans un cas, par exemple, j’ai conclu qu’une expression qui n’avait pas été expurgée induirait le lecteur en erreur sur le sens du reste du paragraphe qui demeurait caviardé. J’ai donc ordonné la divulgation des renseignements additionnels.

d) Cibles et état d’avancement des enquêtes

[120]   Le SCRS prend des mesures pour protéger les renseignements portant sur les cibles, les sujets et l’état d’avancement des enquêtes qu’il mène. Dans le cas qui nous occupe, il n’a pas tenté de protéger le fait que le Service avait manifesté son intérêt pour les défendeurs en ouvrant une enquête, mais il réclame la non‑divulgation des renseignements qui révéleraient des faits au sujet des enquêtes qu’il mène sur d’autres personnes et sur les évaluations et les analyses qui sont tirées des renseignements secrets qu’ils recueillent. De manière générale, j’ai peu de difficulté à accepter la thèse du demandeur suivant laquelle ces renseignements devraient être protégés.

[121]   Même lorsque le fait que le Service a mené une enquête au sujet d’un individu est notoire, le Service cherche à protéger la nature et la portée de l’enquête en vertu de l’article 38, suivant le témoignage de M. Evans, le souscripteur d’affidavit du SCRS. La pratique du Service n’est pas tout à fait uniforme, ainsi qu’il l’a reconnu en contre‑interrogatoire, étant donné que ces renseignements ont été divulgués dans certains cas, mais pas dans d’autres.

[122]   Les défendeurs soutiennent que l’on ne peut permettre au demandeur et au SCRS de revendiquer ou non le privilège prévu à l’article 38 selon ce qui leur convient. Il s’agirait d’une utilisation intéressée, tactique et sélective de l’article 38 qui est incompatible avec la formulation d’une authentique revendication en vertu de la loi. Ils citent notamment qu’on a divulgué le nom d’une personne associée à l’un des défendeurs principaux sans tenir compte, selon eux, des incidences possibles de cette divulgation sur cette personne ou sur d’autres.

[123]   La raison d’être de la protection de ces renseignements, ainsi que M. Evans l’explique dans son témoignage, est essentiellement qu’un service de sécurité ne peut exercer efficacement ses activités si les personnes qui sont visées par ses enquêtes sont en mesure de savoir qu’elles présentent un intérêt ou de savoir ce que le Service en question sait à leur sujet à un moment précis. Elles pourraient ainsi prendre des mesures pour se soustraire aux démarches du Service. La divulgation de rapports et d’évaluations révélerait comment le Service analyse les renseignements secrets qu’il recueille ainsi que l’ampleur de la connaissance que le Service a du réseau de contact des défendeurs ou de ce qu’il sait au sujet d’autres enquêtes.

[124]   L’intérêt qu’a le public à protéger ces renseignements est, je crois, évident. La question que la Cour doit trancher est celle de savoir si les éléments de preuve se rapportant à un renseignement déterminé permettent de conclure que la divulgation porterait préjudice à des intérêts nationaux protégés et, dans l’affirmative, si l’intérêt public milite malgré tout en faveur de la divulgation. Le fait que le SCRS a pu divulguer ce type de renseignements pour ses propres besoins est une considération qui est pertinente, mais qui n’est pas déterminante pour conclure à l’existence d’un préjudice ou pour mettre en balance les intérêts en jeu. Il peut exister d’autres facteurs qui militent fortement en faveur du maintien de l’interdiction.

e) Modes de fonctionnement et d’enquête

[125]   La protection des renseignements est revendiquée sous cette rubrique au nom du SCRS, de l’ASFC et des FC. Comme je l’ai déjà expliqué, je ne crois pas que les revendications des FC soient en cause dans la présente instance. Les revendications de l’ASFC sont également accessoires. Les principales questions découlent des revendications du SCRS. Le Service cherche à protéger des renseignements qui permettraient d’identifier le potentiel militaire ainsi que les limites de ses méthodes et son degré de compétence opérationnelle. Il est évident que l’on pourrait ainsi aider ceux qui font l’objet d’enquêtes du Service ou qui en feraient l’objet à l’avenir à contrer les mesures d’enquête prises par le Service, comme l’affirme M. Evans dans son affidavit.

[126]   Les défendeurs affirment que le contre‑interrogatoire de M. Evans permet de conclure que les demandes de protection des renseignements entrant dans cette catégorie ont une portée excessive. Elles sont formulées malgré le fait que l’existence des enquêtes en question peut faire partie du domaine public ou que ces enquêtes sont peut‑être terminées. Les techniques employées sont les méthodes d’enquête habituelles connues du public et elles sont susceptibles de révéler des failles et des lacunes dans les actes de fonctionnaires canadiens qui ont été corrigées à la suite de changements opérés dans les activités ou les politiques.

[127]   Les défendeurs soutiennent que cette méthode constitue une tentative d’« étoffer » les privilèges reconnus en common law qui sont consacrés à l’article 37 de la Loi sur la preuve au Canada et qui débordent le cadre de la présente demande. Sur ce point, je suis d’accord avec le demandeur pour dire que le fait que les revendications de privilège formulées sous cette rubrique soient jugées par d’autres tribunaux dans d’autres types d’instances en common law ou en vertu de l’article 37 de la Loi n’enlève rien à la légitimité de l’examen par la Cour fédérale de pareilles questions dans les instances dont elle est saisie (décision Henrie, précitée, au paragraphe 29). Je ne suis pas non plus convaincu que l’arrêt R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, [2001] 3 R.C.S. 442, de la Cour suprême du Canada modifie la situation dans ce contexte, comme l’affirment les défendeurs. Il est toujours loisible au demandeur de présenter des éléments de preuve en audience publique ou à huis clos pour démontrer que la divulgation des renseignements aurait les effets préjudiciables auxquels le législateur fédéral songeait lorsqu’il a édicté l’article 38.

[128]   Les défendeurs ont toutefois raison de signaler qu’en acceptant de telles revendications, le tribunal risque de refuser l’accès à des renseignements qui portent sur l’essence même des moyens que les défendeurs tirent de la Charte à l’encontre du gouvernement dans les instances principales. Il s’agit, je crois, d’une considération valable dont on doit tenir compte à l’étape de la mise en balance, si le tribunal est convaincu que la divulgation de ce type de renseignements causerait un préjudice à la sécurité nationale.

f) Relations et renseignements provenant de tiers

[129]   La divulgation de renseignements obtenus sous le sceau du secret d’autres gouvernements préoccupe le MAECI, la GRC, l’ASFC et le SCRS. Le souscripteur de l’affidavit public du MAECI a expliqué qu’une telle divulgation nuirait à la capacité des diplomates canadiens d’obtenir des renseignements confidentiels de leurs homologues d’autres pays, à la capacité du Ministère de servir les Canadiens à l’étranger, d’influencer les objectifs mondiaux en matière de sécurité et de s’engager de façon constructive avec d’autres pays en ce qui concerne les droits de la personne et d’autres questions sensibles. Les souscripteurs des affidavits de la GRC, de l’ASFC et du SCRS soutiennent que la divulgation des renseignements qu’ils ont obtenus d’autres services secrets ou de services de maintien de l’ordre compromettrait les ententes d’échange de renseignements qu’ils ont conclues avec ces services et réduirait leur capacité respective de faire enquête sur les menaces à la sécurité du Canada.

[130]   Ces craintes ne sont pas sans fondement. Le maintien de l’efficacité du Canada en matière de relations internationales et d’enquêtes de sécurité constitue un intérêt public d’une très grande importance. L’importance de cette « préoccupation urgente et réelle » a été reconnue par la Cour suprême (voir, par exemple, Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3, aux paragraphes 43 et 54 (l’arrêt Ruby de 2002)).

[131]   Ainsi qu’il a été dit dans d’autres affaires, le Canada est un importateur net de renseignements secrets. La capacité de ses services secrets et de ses services de maintien de l’ordre de défendre notre sécurité collective dépend dans une large mesure des ententes d’échange de renseignement conclues avec des partenaires étrangers. Les défendeurs font toutefois valoir que cette catégorie de préjudice éventuel à l’intérêt national concerne aussi l’essence même des revendications formulées dans les actions principales dans lesquelles on accuse des gouvernements et des organismes étrangers d’avoir détenu arbitrairement les défendeurs principaux en Syrie et en Égypte et de leur avoir fait subir des sévices. Les défendeurs soutiennent, avec raison, qu’ils ont besoin des renseignements refusés comme éléments de preuve à l’appui des prétentions en question.

[132]   Dans leur preuve et leurs observations, les défendeurs citent ce qu’on appelle couramment la « règle des tiers » ou le « principe du contrôle ». On considère que ce principe s’applique lorsque des services secrets ou des services de maintien de l’ordre s’échangent des renseignements, surtout lorsqu’il s’agit de pays différents. Aux termes d’une entente expresse ou tacite conclue entre les services en question, l’organisme qui reçoit les renseignements ne doit en dévoiler ni la source ni le contenu sans la permission de l’organisme desquels les renseignements proviennent (Ottawa Citizen Group Inc. c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1552, au paragraphe 25).

[133]   La règle des tiers n’est pas un principe de droit et elle n’est pas absolue. On ne peut s’en servir comme une raison catégorique d’invoquer l’immunité pour cause d’intérêt public. Son application à chaque cas doit être examinée à la loupe et le risque de causer un préjudice à l’intérêt national doit être démontré (décision Mohamed, précitée, aux paragraphes 44 et 46).

[134]   Les défendeurs font observer que dans la foulée des événements du 11 septembre 2001, les enquêteurs canadiens et américains se sont entendus pour [traduction] « laisser tomber les réserves » et pour s’échanger des renseignements expressément sans avoir à obtenir le consentement de la source de laquelle ils proviennent avant de les utiliser. Ils font valoir qu’il n’est plus loisible au demandeur de prétendre qu’une obligation implicite d’obtenir ce consentement s’applique rétroactivement après que les renseignements ont été utilisés à leur détriment. Je n’accepte pas la proposition que le principe du contrôle ne s’appliquait pas lors des événements en cause. Il ressort clairement de l’ensemble de la preuve qu’indépendamment de l’entente qui a pu être conclue au niveau opérationnel entre les enquêteurs canadiens et leurs homologues américains, cela n’a rien changé au principe général de la confidentialité qui s’applique à l’échange de renseignements secrets et aux échanges diplomatiques entre les deux pays, pas plus qu’aux échanges entre le Canada et d’autres pays.

[135]   Les défendeurs soutiennent que notre Cour devrait tenir compte du fait que le témoin du MAECI a reconnu que les partenaires du Canada dans le domaine du renseignement sont bien au courant des lois canadiennes en ce qui concerne la divulgation. Même en sachant que notre Cour a le pouvoir d’autoriser la divulgation de renseignements malgré le fait que ceux‑ci ont été jugés préjudiciables aux relations internationales, les partenaires du Canada dans le domaine du renseignement continuent à échanger des renseignements avec le Canada. Les défendeurs affirment en conséquence que notre Cour ne devrait pas accorder trop de poids aux spéculations suivant lesquelles les sources étrangères refuseront de ce fait de communiquer des renseignements au Canada.

[136]   Il ne s’agit pas de pures spéculations. Les partenaires continueront à entretenir des relations lorsqu’ils estiment que cela est dans leur intérêt mutuel, mais la nature et la portée des renseignements fournis peuvent s’en trouver affectées pour un certain temps. On en trouve des exemples dans l’historique des ententes portant sur l’échange de renseignements auxquelles le Canada a pris part avec ses principaux alliés depuis la Seconde Guerre mondiale (voir, par exemple, Richard J. Aldrich, GCHQ : The Uncensored Story of Britain’s Most Secret Intelligence Agency (Londres : Harper Press, 2010); Richard Aldrich, « Allied code‑breakers co‑operate – but not always », The Guardian (24 juin 2010)). C’est à juste titre que les défendeurs affirment que ces ententes sont avantageuses pour tous les pays en présence, mais que le Canada est incontestablement un partenaire qui ne joue pas un rôle de premier plan lorsqu’il s’agit de fournir et de recevoir des renseignements.

[137]   Les défendeurs relèvent qu’aux termes de la règle 30.02 des Règles de procédure civile de l’Ontario, l’obligation du demandeur en matière de production de documents comprend l’obligation positive de les obtenir, ou d’obtenir le consentement de les communiquer, en s’adressant à des tiers. Cette obligation serait conforme à la jurisprudence des Cours fédérales sur la règle des tiers. Les défendeurs affirment que le dossier public ne renferme aucun élément de preuve permettant de penser que le procureur général s’est déjà acquitté de cette obligation ou qu’il a entrepris des démarches pour s’assurer que les tiers en question ne consentent pas à la divulgation. Il est exact de dire qu’on ne dispose d’aucun élément de preuve public quant à l’existence de pareilles mesures, mais, comme nous l’avons déjà signalé, la Cour a reçu de tels éléments de preuve à huis clos.

[138]   Dans l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589 (C.A.), aux paragraphes 101 à 111 (inf. pour d’autres motifs, arrêt Ruby de 2002, précité), s’agissant d’une demande présentée dans le cadre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P‑21, la Cour d’appel fédérale a déclaré que « le juge qui effectue l’examen devrait s’assurer que le SCRS a fait des efforts raisonnables pour solliciter le consentement du tiers qui avait fourni les renseignements en question ». L’affaire Ruby ne portait pas sur la question du consentement à la divulgation, mais bien sur la constitutionnalité des dispositions ex parte de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans la décision Arar, précitée, au paragraphe 73, le juge Noël a jugé que la décision Ruby appuyait la proposition que « les organismes d’application de la loi et les agences de renseignement doivent prouver qu’ils ont pris les moyens raisonnables pour obtenir un consentement à la divulgation, ou prouver qu’une demande de consentement à la divulgation leur serait refusée ».

[139]   Dans la décision Khawaja, précitée, voici ce que j’ai dit, aux paragraphes 145 et 146 :

L’objet de la règle des tiers est manifestement de protéger et d’encourager l’échange de renseignements sensibles entre le Canada et les États ou organismes étrangers, en protégeant pour cela à la fois la source et le contenu des renseignements échangés, l’unique exception étant que le Canada a toute latitude pour communiquer les renseignements et/ou pour faire état de leur source si le consentement de la source est obtenu.

Cependant, dans l’application de cette notion à tel ou tel élément de preuve, la Cour doit être consciente que cette notion n’englobe pas toutes les situations. D’abord, il faut se demander si le Canada a ou non tenté d’obtenir un consentement à la communication des renseignements. Je suis enclin à dire, comme le défendeur, qu’il n’est pas loisible au procureur général de prétendre tout bonnement que des renseignements ne peuvent pas être divulgués en application de la règle des tiers, si une demande de divulgation, sous une forme ou sous une autre, n’a pas été en fait présentée à la source étrangère.

[140]   L’affaire Khawaja se rapportait à une enquête sur un complot visant à commettre des actes terroristes à l’étranger. Les renseignements en question avaient été fournis par des services étrangers de maintien de l’ordre et du renseignement et ils faisaient partie de la preuve du ministère public dans un procès au criminel intenté au Canada. Le ministère public était tenu aux obligations de divulgation strictes énoncées dans l’arrêt R. c. Stinchcombe, précité. Dans ces circonstances, j’ai estimé que le procureur général avait l’obligation positive de chercher à obtenir le consentement requis.

[141]   De même, dans la décision Charkaoui (Re), 2009 CF 476, aux paragraphes 28 et 29, qui avait trait à un certificat de sécurité, la juge Tremblay‑Lamer a estimé que les ministres étaient obligés de démontrer que des efforts raisonnables avaient été faits pour obtenir le consentement à la divulgation. Parmi les facteurs dont la juge a tenu compte pour décider qu’elle obligerait les ministres à respecter cette norme, mentionnons les faits suivants : les ministres avaient, dans le passé, utilisé des renseignements qui provenaient des mêmes organismes étrangers à l’appui des rapports confidentiels de renseignement de sécurité en litige; l’existence de renseignements qui ont été fournis par des organismes étrangers était connu publiquement depuis la publication du résumé du rapport; il est de notoriété publique que les autorités étrangères avaient participé au dossier; certains des renseignements dataient et il était donc peu probable que le caractère secret et confidentiel des renseignements représentait encore un intérêt particulier pour les pays desquels ils provenaient.

[142]   Tant dans l’affaire Khawaja que dans l’affaire Charkaoui, le droit à la sécurité de sa personne garanti par l’article 7 de la Charte s’appliquait par suite des démarches continues entreprises par le gouvernement pour poursuivre M. Khawaja et pour renvoyer M. Charkaoui. Ces considérations ne se posaient pas dans les instances principales en l’espèce.

[143]   Dans la décision Arar, précitée, le juge Noël a été un peu moins catégorique sur la question de savoir s’il existe une obligation de chercher à obtenir un consentement. Aux paragraphes 75 et 94 de ses motifs ex parte publiés sous forme de version expurgée à la suite de la publication de ses motifs publics ([Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar)] 2009 CF 1317, [2011] 1 R.C.F. 105), le juge Noël a expliqué qu’il fallait tenir compte du fait que le Canada n’avait pas, par le truchement de ses fonctionnaires, cherché à obtenir un consentement à la communication de certains renseignements tombant sous le coup de la règle des tiers. Il a toutefois refusé de tirer une inférence négative de la décision prise par le procureur général de ne pas adresser une telle demande, affirmant qu’on trouvait au dossier des éléments de preuve démontrant que pareille demande serait inutile.

[144]   Dans la décision Khadr d’avril 2008, précitée, aux paragraphes 93 et 94, j’ai exprimé l’avis que le défaut d’adresser des demandes à des sources se trouvant dans des pays étrangers en vue d’obtenir leur consentement à la divulgation de leurs renseignements pourrait avoir un effet défavorable sur une revendication de privilège. Vu toutes les circonstances de l’espèce, j’abonde dans le sens du procureur général lorsqu’il affirme qu’il serait futile de demander à certains pays de consentir à la divulgation de leurs renseignements.

[145]   Comme je l’ai déjà signalé, au cours de la présente instance, j’ai reçu des éléments de preuve à huis clos en rapport avec la question de savoir si des demandes avaient été adressées à des pays étrangers en vue d’obtenir leur consentement à la divulgation de renseignements émanant de leurs organismes ou de leurs fonctionnaires. Compte tenu des témoignages que j’ai entendus, des réponses aux demandes de consentement, de l’expérience de l’enquête Iacobucci et de la nature des instances principales, j’estime que l’omission de chercher à obtenir le consentement dans d’autres instances n’a pas pesé lourd dans la balance en l’espèce.

[146]   Les renseignements provenant de tiers qui intéressaient au premier chef les défendeurs dans la présente affaire provenaient de la Syrie, de l’Égypte et des États‑Unis. Je relève que, dès le début de l’enquête Iacobucci, les avocats de la commission d’enquête ont écrit aux autorités compétentes de ces trois pays (et de la Malaisie) pour exiger qu’ils leur fournissent les documents et les renseignements pertinents. Les autorités de ces pays n’ont pas répondu à la première demande de renseignements que la Commission leur avait adressée ni aux demandes de suivi.

[147]   En raison des obligations juridiques assumées par la Syrie et l’Égypte aux termes de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [10 décembre 1984], [1987] R.T. Can. no 36 (la Convention contre la torture), les défendeurs affirment que les relations du Canada avec la Syrie ou l’Égypte ne se détérioreraient pas du fait de la divulgation de tous les documents pertinents qui se trouvent en la possession du Canada et qui proviennent de l’un ou l’autre de ces pays ou qui concernent les relations que le Canada entretient avec l’un ou l’autre de ces pays et qui ont trait aux cas de torture dont les défendeurs principaux se plaignent dans les instances principales. Il ressort des témoignages que j’ai entendus à huis clos qu’aucun de ces pays ne partage ce point de vue.

[148]   J’accepte, en principe, la proposition que la divulgation des renseignements que des pays ont communiqués sous le sceau du secret nuirait aux relations diplomatiques et aux ententes conclues avec ces pays au sujet d’échange de renseignements. Toutefois, peu importe l’atteinte qu’il peut porter à nos principes lorsqu’il est invoqué en rapport avec certains pays, ce facteur doit entrer en ligne de compte lorsqu’on pondère les intérêts publics en présence. Le Canada doit faire appel à d’autres pays qui ne partagent pas ses valeurs ou ses traditions juridiques lorsqu’il a besoin de leur assistance, notamment en matière consulaire, en vue de protéger ses citoyens ou de défendre ses intérêts sur le plan international. La Cour ne peut simplement faire abstraction de ce facteur lorsqu’elle se demande si la divulgation pourrait causer un préjudice et, dans l’affirmative, si l’intérêt public favorise la divulgation et sous quelle forme.

[149]   Les défendeurs affirment également qu’il est important d’examiner les conséquences qu’aurait sur les relations internationales du Canada un refus, sanctionné par un tribunal, de communiquer des éléments de preuve portant sur une violation de la Convention contre la torture, notamment d’éléments de preuve démontrant qu’il y a eu torture ou complicité à cet égard. Je souscris à cette proposition, qui va dans le sens des obligations imposées au Canada par la Convention contre la torture. La reconnaissance de l’importance de ces obligations n’exclut pas l’examen par la Cour de la question de savoir s’il peut exister d’autres moyens de divulguer les renseignements sous une forme, comme un résumé, qui minimiserait le préjudice qui pourrait autrement être causé.

[150]   Je tiens par ailleurs à signaler que les pays et les organismes n’ont pas tous la même importance pour le Canada sur le plan du partage des renseignements. Il est évident que les conséquences d’un manquement à un accord conclu par le Canada avec ces principaux alliés tels que les États‑Unis et le Royaume‑Uni seraient beaucoup plus graves que celles que pourrait entraîner la divulgation de renseignements obtenus d’un pays ou d’un organisme moins étroitement lié à nos intérêts nationaux. Ainsi que le juge Noël l’explique dans la décision Arar, précitée, aux paragraphes 80 et 81 :

Lorsqu’on se demande si la divulgation de renseignements causera un préjudice, il importe également de considérer la nature de la relation du Canada avec l’agence de renseignement ou l’agence d’application de la loi d’où proviennent les renseignements. Il est admis que certaines agences présentent une importance plus grande pour le Canada et donc qu’il faut faire davantage pour protéger nos relations avec elles. Par conséquent, il faut agir avec circonspection lorsqu’on envisage la possibilité de transgresser la règle des tiers à l’égard de renseignements obtenus de nos alliés les plus importants.

Cela dit, la gravité du préjudice pouvant résulter d’un manquement à la règle des tiers pourra être mesurée à la faveur du troisième volet du critère de l’article 38.06, lorsque le juge chargé du contrôle mettra en balance les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation et les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation.

[151]   Une méthode de divulgation des renseignements provenant de tiers qui a été employée dans d’autres instances consiste à minimiser les risques et l’ampleur du préjudice. Ainsi que la juge Tremblay‑Lamer l’explique dans la décision Charkoui (Re), 2009 CF 476, précitée, au paragraphe 35, les renseignements « peuvent être neutralisés en épurant les éléments qui pourraient être sensibles pour le pays d’origine ». Dans la mesure où j’ai estimé que cela était possible, j’ai retenu cette méthode pour déterminer si la divulgation causerait un préjudice ou si l’intérêt public militait en faveur d’une divulgation sous une forme ou une autre.

[152]   Dans le rapport Iacobucci, par exemple, le commissaire parle systématiquement d’une « organisation américaine » ou, dans la version anglaise, d’une « U.S. agency » au lieu de désigner par leur nom les organismes en question, dont un s’est donné beaucoup de mal pour éviter d’être identifié comme l’organisme qui avait reçu les renseignements ou de qui ils provenaient. Le rapport n’est pas tout à fait cohérent à cet égard, car on y relève des divergences entre les versions française et anglaise et, dans certains cas, l’acronyme des organisations américaines concernées est divulgué, peut‑être par inadvertance. Quoi qu’il en soit, le fait que des organisations américaines auraient reçu ou communiqué des renseignements très utiles pour les actions principales est devenu un fait notoire. Cette divulgation ne semble pas avoir eu de conséquences sérieuses, et on n’a pas attiré l’attention de notre Cour sur des objections au rapport que des ministres auraient formulées.

[153]   En l’espèce, le demandeur a constamment cherché à protéger les renseignements qui divulgueraient la participation des États‑Unis dans les événements qui font l’objet des actions principales. Comme nous l’avons déjà expliqué, cette participation est devenue un fait notoire par suite de la publication du rapport Iacobucci. On ne m’a pas convaincu que la divulgation du nom des organisations américaines mentionnées dans les documents visés par la présente demande porterait préjudice à des intérêts protégés ou, advenant qu’un préjudice soit causé, que l’intérêt du public dans la non‑divulgation l’emportait sur l’intérêt du public dans la divulgation. La solution retenue par le commissaire Iacobucci en désignant les institutions des États‑Unis de façon générale comme « les organisations américaines » minimisera l’impact qu’une telle divulgation pourrait avoir.

[154]   En l’espèce, les intervenants désintéressés ont fait plusieurs suggestions utiles sur la façon de neutraliser certains des renseignements provenant de tiers, et le demandeur a souscrit à un certain nombre d’entre elles. Le demandeur a également fait des propositions semblables en ce qui concerne d’autres renseignements expurgés. Bien que je trouve fort utiles leurs tentatives, j’ai pris mes propres décisions sur ce qui porterait préjudice aux intérêts protégés et sur ce qui devrait être divulgué.

g) Renseignements sur les employés

[155]   Le demandeur cherche à empêcher la divulgation de renseignements qui tendraient à identifier des employés du SCRS, notamment leur nom, titre de poste, lieu de travail, numéro de téléphone ou adresse Internet. Dans son affidavit, M. Evans témoigne que l’identification des employés du SCRS, en particulier de ceux qui ont été impliqués dans des activités cachées ou qui pourraient le devenir, réduirait la capacité de ces employés et du Service de faire enquête sur les menaces à la sécurité du Canada. En outre, on craint que la divulgation de renseignements qui permettraient d’identifier des employés expose le personnel du Service à du harcèlement ou à des menaces.

[156]   L’identité de certains des employés du SCRS qui ont pris part aux événements qui font l’objet des actions principales a été divulguée au public. Le demandeur invoque l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C‑23 (la Loi sur le SCRS), qui interdit la divulgation de l’identité de tout employé du Service qui est ou était un employé qui mène des activités cachées. Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que cette interdiction n’empêche pas en soi d’identifier l’employé qui pourrait à l’avenir être appelé à exercer des activités cachées. Mais la Cour doit prendre acte du fait que des employés du SCRS peuvent être appelés à exécuter des activités cachées qu’ils l’aient fait ou non dans le passé. Il ne s’agit pas d’une spéculation mais d’une réalité de leur travail.

[157]   Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que, si la preuve permet d’appuyer la prétention que l’intéressé a commis contre eux un délit civil ou a violé la Charte ou qu’il a causé ou contribué à causer les dommages qu’ils ont subis en conséquence de ce délit ou de cette violation, la Cour doit également tenir compte de leur droit de désigner les employés comme défendeurs individuels et de chercher à obtenir la communication préalable de documents et de renseignements. C’est ce dont le procureur général a convenu dans le cadre du processus de gestion de l’instance.

[158]   La GRC a exprimé des craintes analogues, bien que dans une moins large mesure, au sujet de la divulgation de l’identité de certains de ses membres. Ainsi que le témoin de la GRC l’a reconnu en contre‑interrogatoire, l’identité de plusieurs des membres qui ont participé aux enquêtes en cause dans les actions principales a déjà été dévoilée publiquement. Je me suis donc demandé s’il était encore nécessaire de protéger ces renseignements dans la présente instance et s’il existait des éléments de preuve pour appuyer une telle conclusion.

[159]   Quant aux craintes exprimées par le MDN et les FC, elles portent sur l’identification du personnel militaire engagé dans des opérations sensibles en Afghanistan. Comme je l’ai déjà expliqué, je suis convaincu que ces renseignements devraient être protégés.

h) Renseignements administratifs

[160]   Le témoin du SCRS a expliqué que la divulgation de renseignements se rapportant aux procédures internes et aux méthodes administratives du Service était susceptible de révéler la manière dont le Service gère ses enquêtes, la façon dont les messages sont générés et à qui ils sont adressés, comment on se sert des numéros de dossier pour distinguer les cibles, les sources de renseignements, les enquêtes et le type d’enquête à mener dans un lieu précis. On s’inquiète par ailleurs au sujet de la divulgation de renseignements qui permettraient d’identifier les réseaux de télécommunications sécurisés qu’utilise le Service.

[161]   Le SCRS recueille des renseignements à l’extérieur du Canada et, à cette fin, il possède plusieurs bureaux à l’étranger. À l’exception de ses bureaux de Washington, de Londres et de Paris, les renseignements concernant l’emplacement de ces bureaux sont classifiés. Suivant la preuve, l’identification de ces endroits compromettrait les rapports que le Service entretient à l’étranger et risquerait de compromettre la sécurité de ses employés en poste à l’étranger.

[162]   Dans d’autres instances, on a généralement admis que ce type de renseignements n’était pas utile. Dans la présente affaire, les défendeurs n’ont pas fait une telle admission, préférant laisser la question en suspens pour le cas où les renseignements s’avéreraient plus tard importants. Me fondant sur l’hypothèse douteuse que ces renseignements sont pertinents, j’ai accepté l’argument du demandeur suivant lequel leur divulgation causerait un préjudice.

i) Renseignements provenant de sources humaines

[163]   Comme il a déjà été expliqué, le demandeur cherche à protéger les renseignements qui révéleraient ou tendraient à révéler les sources humaines des renseignements ou le contenu des renseignements fournis par des sources humaines qui, s’ils étaient divulgués, pourraient permettre d’identifier des sources humaines. Ayant examiné les passages non expurgés des documents en question, je peux affirmer que cette question ne revêt pas une grande importance en l’espèce. J’estime toutefois nécessaire d’exprimer mon avis sur la question, compte tenu du risque qu’il y ait d’autres instances portant sur d’autres documents qui peuvent être produits aux défendeurs lors de l’enquête préalable.

[164]   Suivant les défendeurs, le témoin du SCRS, M. Evans, revendique pour les sources humaines une protection absolue qui est plus large que le privilège reconnu aux indicateurs de police par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Leipert, [1997] 1 R.C.S. 281. Les défendeurs affirment que la coutume du SCRS qui consiste à inciter ses sources humaines à communiquer des renseignements est la norme plutôt que l’exception, et n’est pas dans l’intérêt du public. On soutient que l’infraction prévue à l’article 18 de la Loi sur le SCRS, qui prévoit que commet un crime quiconque divulgue l’identité d’une autre personne qui fournit ou a fourni au Service des informations ou une aide à titre confidentiel, ne fait que consacrer un principe de common law. Les défendeurs affirment qu’à moins que les renseignements entrant dans cette catégorie fassent également jouer d’autres intérêts légitimes en matière de sécurité nationale ou de relations internationales, ils ne devraient pas entrer dans le champ d’application de l’article 38.

[165]   Les défendeurs demandent à notre Cour d’ordonner la divulgation de tous les renseignements se rapportant à des sources humaines ou reçus de sources humaines, y compris leur identité ou d’autres renseignements permettant de les identifier, sous réserve cependant du droit du procureur général, s’il le juge opportun, de saisir la Cour supérieure de justice d’une demande d’ordonnance de confidentialité sur le fondement du principe de common law protégeant les indicateurs.

[166]   L’existence d’un privilège protégeant les sources humaines secrètes de renseignement a été discutée par le juge Noël dans Harkat (Re), 2009 CF 204, [2009] 4 R.C.F. 370. Le juge Noël conclut, au paragraphe 18, que le privilège qui protège les indicateurs de police et l’exception à ce privilège relative à la démonstration de l’innocence de l’accusé ne jouaient pas comme tels à l’égard des sources humaines secrètes de renseignement. Il a toutefois considéré que les critères permettant de reconnaître l’existence d’un privilège ou d’en élargir la portée, énoncés par l’auteur de l’ouvrage Wigmore on Evidence [Evidence in Trials at Common Law par John Henry Wigmore, McNaughton Revision, vol. 8, Boston : Little, Brown & Co., 1961], étaient satisfaits dans le cas des sources humaines secrètes dont le SCRS assurait la confidentialité en échange de renseignements relatifs à la sécurité nationale. L’analyse du juge Noël est conforme, à mon avis, avec le cadre que prévoit la common law lorsqu’il s’agit de déterminer si un privilège peut être revendiqué au cas par cas, ainsi que la Cour suprême du Canada l’a récemment confirmé dans l’arrêt Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592.

[167]   Au paragraphe 28 de ses motifs, le juge Noël déclare ce qui suit :

  Si le Service n’est pas en mesure de protéger l’identité de ses sources ou est tenu de les produire au cours d’une instance judiciaire (même fermée au public), le nombre de personnes disposées à divulguer des renseignements s’en trouverait réduit. De fait, la preuve soumise indique que le recrutement de sources humaines serait compromis si notre Cour ne respectait pas les garanties de confidentialité données par le Service. [Note en bas de page omise.]

[168]   J’abonde dans le sens du juge Noël et je fais mien, pour l’essentiel, son raisonnement à ce propos. En principe, j’accepte que l’identité des sources humaines secrètes et les renseignements fournis par ces sources qui tendraient à les identifier font l’objet d’un privilège lié à l’intérêt public. J’accepte également que la Cour doit être consciente des conséquences que la décision d’ordonner la divulgation de tels renseignements peut avoir sur le recrutement de sources humaines. Le SCRS est un organisme relativement modeste en comparaison de ses partenaires internationaux et il est largement tributaire de sa capacité de recruter et de former des sources humaines. Sa capacité de le faire représente un intérêt public d’une importance considérable.

[169]   Je n’irais cependant pas jusqu’à dire que ce privilège devrait s’appliquer dans chaque cas aux personnes qui fournissent des renseignements au SCRS. Le Service a tendance à considérer comme une source confidentielle pratiquement chaque personne qui lui fournit des renseignements, que la source s’attende ou non réellement à ce qu’on respecte la confidentialité de ces renseignements, que la source soit exposée ou non à un risque de subir un préjudice ou qu’il soit probable ou non que ces renseignements soient communiqués sans ces assurances. Cela vaut pour les employés des organismes chargés de faire respecter la loi, les entreprises de services publics et les sociétés commerciales, qui communiquent des renseignements qui peuvent être publics. Lorsqu’ils examinent des documents en vue de leur divulgation, les fonctionnaires du Service expurgent habituellement le nom de ces personnes ainsi que tout renseignement permettant de les identifier. À mon avis, la méthode suivie par le Service est trop large.

[170]   Je reconnais que les renseignements expurgés peuvent avoir peu ou point d’utilité pour les instances principales. Toutefois, s’ils sont utiles, la Cour doit, comme nous l’avons déjà vu, se demander au cas par cas si leur divulgation causerait un préjudice et si le privilège est justifié. Dans certains cas, cette analyse ne sera pas difficile étant donné qu’il ressortira des circonstances entourant le recrutement et la formation de la source que les renseignements doivent être considérés comme privilégiés. Toutefois, l’intérêt du public à la non‑divulgation des renseignements ne l’emporte pas toujours sur l’intérêt du public à leur divulgation. Cette évaluation doit être effectuée à la troisième et dernière étape de l’analyse.

3. Le critère de la mise en balance

[171]   Pour appliquer le troisième volet de l’analyse prévue à l’article 38.06, la Cour doit déterminer si les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation. Le paragraphe 38.06(2) prévoit que, si elle est convaincue que les raisons d’intérêt public militent en faveur de la divulgation, la Cour peut autoriser la divulgation des renseignements selon la forme et les conditions les plus susceptibles de limiter le préjudice porté aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales.

[172]   La partie qui demande la divulgation des renseignements doit apporter la preuve que l’intérêt public milite en sa faveur (arrêt Ribic, précité, au paragraphe 21). La Loi ne précise pas la norme à appliquer pour déterminer si la balance penche en faveur de la divulgation. Les défendeurs affirment qu’on ne devrait pas appliquer une norme plus élevée que la norme minimale de la « question sérieuse à juger » qui est utilisée pour les demandes visant à obtenir une réparation provisoire, ajoutant qu’on a nettement satisfait à cette norme en l’espèce (RJR — MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311).

[173]   Comme les défendeurs ne font pas l’objet d’accusations criminelles et qu’ils ne sont pas parties prenantes à une procédure d’immigration dans laquelle leur droit à la liberté et à la sécurité de leur personne est en jeu, j’estime que la norme à appliquer pour décider si la balance penche en faveur de la divulgation est celle qui a été élaborée dans une cause civile, Jose Pereira E Hijos, S.A. c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 470 (l’arrêt Hijos), et qui a été confirmée dans l’arrêt Ribic, au paragraphe 22 : les renseignements demandés sont‑ils susceptibles d’établir un fait crucial pour la partie qui les réclame? Comme nous l’avons vu, il pourrait s’agir d’un fait qui minerait la cause de la partie adverse. Je crois qu’il est également nécessaire de tenir compte du fait que les renseignements peuvent fournir les pièces manquantes pour obtenir la mosaïque ou le portrait complet de la cause nécessaires pour trancher les questions en litige entre les parties.

[174]   Parmi les facteurs que les tribunaux ont énumérés et dont la Cour peut tenir compte pour pondérer les intérêts opposés, mentionnons les suivants : la nature de l’intérêt que l’on cherche à protéger; l’admissibilité et l’utilité des renseignements; leur valeur probante en ce qui concerne une question soulevée au procès; la question de savoir si le demandeur a établi qu’il n’existe pas d’autres moyens raisonnables d’obtenir les renseignements; la question de savoir si, en cherchant à obtenir la divulgation, le demandeur cherche à l’aveuglette des renseignements; la gravité des questions en jeu (Ribic c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 10, précitée, au paragraphe 23; Khan c. Canada, [1996] 2 C.F. 316 (1re inst.), au paragraphe 26; arrêt Hijos, précité, aux paragraphes 16 et 17; Canada (Procureur général) c. Kempo, 2004 CF 1678, au paragraphe 102 (la décision Kempo)).

[175]   Dans la décision Arar, précitée, au paragraphe 98, le juge Noël a dressé une liste non exhaustive de facteurs dont on peut tenir compte dans le contexte d’une enquête publique. Cette liste est utile en l’espèce, étant donné qu’elle concerne une situation analogue, dans laquelle on demandait aux intéressés de rendre des comptes au sujet d’actions et d’omissions antérieurement commises par des représentants canadiens relativement à la détention d’un citoyen canadien en Syrie. Voici les facteurs qui doivent, selon le juge Noël, être évalués et mis en balance pour savoir où réside l’intérêt public : 

a) l’étendue du préjudice;

b) la pertinence des renseignements expurgés pour la procédure dans laquelle ils seraient utilisés, ou les objectifs de l’organisme qui recherche la divulgation des renseignements;

c) le point de savoir si les renseignements expurgés sont déjà connus du public et, dans l’affirmative, la manière dont les renseignements sont tombés dans le domaine public;

d) l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires;

e) l’importance des renseignements expurgés dans le contexte de la procédure d’origine;

f) le point de savoir s’il y a des intérêts supérieurs en jeu, par exemple les droits de la personne, le droit de présenter une défense pleine et entière dans le contexte criminel, etc.;

g) le point de savoir si les renseignements expurgés se rapportent aux recommandations d’une commission et, dans l’affirmative, si les renseignements sont importants pour une bonne compréhension desdites recommandations.

[176]   Le demandeur affirme que les défendeurs ont déjà en mains suffisamment de renseignements pour présenter leur preuve dans les demandes principales. Il soutient qu’il ressort des arguments détaillés des défendeurs et de leurs renvois au rapport Iacobucci qu’en tant que demandeurs dans les actions principales, ils ont déjà une connaissance approfondie des faits. Pour démontrer qu’ils ont droit à la divulgation d’autres renseignements, les défendeurs doivent convaincre la Cour qu’ils ont besoin qu’on leur communique certains renseignements préjudiciables pour établir la responsabilité civile. Le fait que ces renseignements peuvent fonder une demande contre le gouvernement ne justifie pas en soit la divulgation de ces renseignements, suivant le demandeur. Si un demandeur dispose déjà de suffisamment de renseignements pour présenter sa cause, ou si l’on peut s’attendre à ce qu’il en obtienne lors de l’enquête préalable et au moyen d’un interrogatoire, il n’existe aucune raison convaincante, selon le demandeur, de causer un préjudice à la défense ou à la sécurité nationales par suite d’une divulgation.

[177]   Il va peut‑être de soi de faire observer que ce n’est pas parce qu’on est au courant de certains faits que l’on dispose nécessairement d’éléments de preuve admissibles permettant de prouver ces faits. Si les renseignements non expurgés se trouvant en la possession du gouvernement ne leur sont pas communiqués, il se peut que les défendeurs ne soient pas en mesure d’établir les faits sur lesquels le commissaire Iacobucci s’est fondé pour tirer des conclusions au sujet des lacunes qui entachaient les actions et les omissions des représentants du gouvernement après avoir examiné une version non expurgée des renseignements. Ainsi que la Cour suprême l’a jugé dans l’arrêt Globe and Mail c. Canada, précité, au paragraphe 62, « [l]orsqu’un tribunal est appelé à déterminer si le privilège a été établi, il doit vérifier si les faits, les renseignements ou les témoignages peuvent être connus par d’autres moyens. »

[178]   Le principal intérêt du public dans la divulgation est de s’assurer que la cour de première instance dispose de l’accès le plus complet possible à tous les éléments et documents pertinents. Mais il ne s’agit pas en soi d’un facteur déterminant qui commande une décision de divulguer les renseignements demandés lorsque la sécurité nationale est en jeu. Ainsi que la Cour fédérale d’Australie l’a expliqué dans l’arrêt Parkin v. O’Sullivan, [2009] FCA 1096 (AustLII), 260 A.L.R. 503, au paragraphe 32, le fait qu’un demandeur puisse ne pas être en mesure d’établir le bien‑fondé de sa demande si les renseignements qu’il réclame ne sont pas divulgués ne constitue pas, en règle générale, une situation exceptionnelle qui l’emporte sur l’intérêt qu’a le public à garder les renseignements secrets, vu qu’il arrive souvent que l’exception fondée sur l’intérêt public fera en sorte que les renseignements sur lesquels le demandeur souhaite se fonder seront exclus.

[179]   Les questions soulevées dans les actions principales, y compris les présumées violations de la Charte, sont très sérieuses. Au paragraphe 181 de leurs observations écrites préliminaires, les défendeurs formulent comme suit cet aspect de l’intérêt public :

[traduction] Il ne peut exister de plus grand intérêt public que celui de s’assurer qu’une participation à des violations flagrantes des droits de la personne soit dénoncée et jugée par un tribunal qui se chargera d’ordonner une réparation juste et appropriée. Les fondements d’une société juste et démocratique sont ébranlés si l’on tolère l’impunité. À défaut de poursuites au criminel, une réparation civile fondée sur l’obligation de rendre des comptes est la seule réparation efficace sur le plan national qui permette d’obtenir à la fois une reddition de comptes et une réparation.

[180]   Je constate que le juge Perell a reconnu que l’arrêt de la Cour suprême Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44, [traduction] « constitue un précédent qui démontre que M. Elmaati a à tout le moins plaidé un moyen valable en affirmant que les droits que la Charte lui garantit ont été violés » (Abou‑Elmaati, précité, au paragraphe 77).

[181]   Les défendeurs affirment que les actions civiles principales sont le seul moyen dont ils disposent pour obtenir des réponses au sujet des événements qui ont conduit à leur détention arbitraire et aux sévices qu’ils ont subis, et qu’elles constituent une partie de la réparation à laquelle ils ont droit en vertu du droit international (Convention contre la torture, précitée, au paragraphe 14(1), et obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne). En plus de faire appel aux obligations du Canada, tout élément de preuve tendant à établir une complicité dans le recours à la torture ou aux sévices dont les défendeurs principaux ont été victimes de la part de représentants canadiens les ferait relever de la Convention contre la torture. De plus, les actes des représentants du SCRS, de la GRC et du MAECI en cause sont susceptibles d’un contrôle pour vérifier s’ils sont conformes à la Charte (R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292, au paragraphe 106; Canada (Justice) c. Khadr, 2008 CSC 28, [2008] 2 R.C.S. 125, au paragraphe 19; Abdelrazik c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2009 CF 580, [2010] 1 R.C.F. 267). Les éléments de preuve démontrant une participation des représentants canadiens aux sévices infligés aux défendeurs feront jouer les droits garantis aux défendeurs par l’article 7 (arrêt Khadr, 2010 CSC 3, précité).

[182]   L’intérêt qu’a le public à obliger le gouvernement à répondre des présumés actes ou omissions de ses préposés constitue un facteur important en l’espèce. Le juge La Forest déclare ce qui suit dans l’arrêt Carey, précité, à la page 673 :

Il y a un autre facteur qui milite en faveur de la divulgation des documents en l’espèce. L’appelant allègue une conduite peu scrupuleuse de la part du gouvernement. À mon sens, il importe que ce point soit débattu non seulement dans l’intérêt de l’administration de la justice mais aussi dans l’intérêt du bon fonctionnement du pouvoir exécutif du gouvernement, ce qui a été avancé comme but de la demande de non‑divulgation des documents. Car, si le pouvoir exécutif a agi de façon sévère ou abusive envers un particulier, il faut que cela émerge au grand jour.

[183]   Le droit d’obtenir une réparation juste et appropriée en cas de violation de la Charte fait partie de notre cadre constitutionnel (Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863). Comme le juge Noël l’a reconnu dans la décision Arar, précitée, au paragraphe 98, la Cour doit tenir compte de ces intérêts supérieurs lorsqu’elle met en balance les raisons d’intérêt public en jeu.

[184]   Dans le contexte particulier de la présente affaire, la Cour doit également tenir compte du fait que le droit à la liberté actuel des défendeurs ne dépend pas de l’issue des actions civiles qu’ils ont intentées contre le gouvernement (décision Kempo, précitée, au paragraphe 115). À la différence d’autres affaires dans lesquelles des revendications de privilège fondées sur l’article 38 mettaient directement en jeu le droit à la liberté comme dans la décision Khawaja et dans toutes les affaires Khadr, précitées, les actions principales en cause en l’espèce sont des instances civiles qui visent à obtenir des dommages‑intérêts à titre de réparation. Les défendeurs réclament des dommages‑intérêts pour de présumées anciennes violations des droits qui leur sont garantis par la Charte, mais le préjudice reproché a déjà été causé et les droits en question ne sont pas actuellement en jeu dans les instances principales. Bien que la protection du droit de s’adresser aux tribunaux pour obtenir réparation d’un délit civil constitue un intérêt public important, la Cour doit être consciente du risque qu’un préjudice soit causé maintenant ou plus tard aux intérêts nationaux du Canada si elle ordonne la divulgation de renseignements préjudiciables.

[185]   Les défendeurs affirment que le paragraphe 24(1) de la Charte confère à notre Cour une vaste compétence, en plus de celle que lui confère l’article 38, pour s’assurer que le tribunal de première instance soit en mesure d’accorder une réparation juste et appropriée en cas de violation des droits qui leur sont garantis par la Charte. Ils fondent cette prétention sur l’argument que les conclusions du rapport Iacobucci et du Supplément au rapport public ont déjà établi que des représentants du Canada ont probablement violé les droits que la Charte leur garantissait en raison du rôle que ces représentants ont joué en ce qui concerne la détention et la torture dont les défendeurs principaux ont fait l’objet en Syrie et en Égypte. Notre Cour n’est toutefois pas en mesure de tirer des conclusions de fait suffisantes pour accorder une réparation en vertu du paragraphe 24(1), et elle ne peut non plus, pour les raisons déjà évoquées, se fonder sur les conclusions du commissaire Iacobucci pour rendre une telle décision.

Le document 171 est‑il assujetti à la procédure prévue à l’article 38?

[186]   Les défendeurs affirment que l’interdiction de divulgation prévue au paragraphe 38.02(1) à la suite de l’envoi d’un avis au procureur général ne vaut pas dans le cas d’un document qui a déjà été divulgué sous une forme non expurgée aux parties adverses et à leur avocat. La Loi interdit la communication de renseignements qui n’ont pas encore été divulgués et au sujet desquels un avis visant à exclure toute possibilité de divulgation a été valablement donné. Ils font valoir que lorsque la divulgation a déjà eu lieu, la Loi ne s’applique plus. Ils soutiennent par ailleurs que la Loi ne renferme aucune disposition qui habilite notre Cour à ordonner que ces renseignements soient rendus au procureur général.

[187]   Les défendeurs maintiennent que l’arrêt Babcock, précité, de la Cour suprême, qui porte sur les conséquences de la divulgation de documents confidentiels du Cabinet qui tombent sous le coup de l’article 39 de la Loi, s’applique également à l’article 38 (décision Arar, précitée, au paragraphe 54). Ils affirment que, dans l’arrêt Babcock, la Cour suprême a reconnu que, lorsque des documents confidentiels du Cabinet ont été communiqués délibérément, il se pourrait que le gouvernement puisse faire valoir d’autres motifs justifiant la protection contre toute nouvelle divulgation en s’appuyant sur la common law, et ce, indépendamment de la procédure prévue par la Loi sur la preuve au Canada (Babcock, précité, au paragraphe 26). Le même raisonnement devrait selon eux s’appliquer aux documents pour lesquels un privilège fondé sur l’intérêt public est invoqué en vertu de l’article 38.

[188]   La thèse du demandeur est que le raisonnement suivi dans l’arrêt Babcock ne s’applique pas lorsque le document a été divulgué par inadvertance. Il relève que le juge Perell a déjà rejeté le même argument que celui qu’invoquent les défendeurs (décision Abou‑Elmaati, précitée, au paragraphe 45). Il y a lieu de conclure à l’inadvertance en l’espèce parce que la divulgation du contenu du document était incompatible avec la position adoptée à l’égard d’autres renseignements d’une nature similaire et que l’erreur a été reconnue dans le mois suivant la production du document. Cette erreur ne devrait pas empêcher la Cour d’ordonner que les renseignements expurgés ne soient pas de nouveau divulgués si elle est convaincue que le critère prévu au paragraphe 38.06(3) de la Loi a par ailleurs été satisfait.

[189]   Pour le cas où la Cour jugerait qu’elle a compétence pour se prononcer sur les documents divulgués, les défendeurs demandent à la Cour de conclure qu’il n’y a aucun élément de preuve qui permet de conclure que la divulgation du document 171 a eu lieu « par inadvertance ». Ils soutiennent que le document a été communiqué sans caviardage par une ou plusieurs des personnes qui avaient été désignées par le procureur général pour prendre une décision définitive au sujet de la divulgation en vertu de l’article 38, à l’issue du processus prévu à cette fin. Les défendeurs font valoir que, si ce processus et les critères de révision sont viciés, ils le sont dans leur conception même et non par inadvertance. Ils ajoutent qu’il n’y a aucun élément de preuve au sujet de la présumée inadvertance, rappelant que notre Cour a expliqué que de telles preuves « sont capitales lorsqu’on se demande si des renseignements divulgués par inadvertance peuvent être protégés par la Cour » (décision Arar, précitée, au paragraphe 57). Les défendeurs affirment que, si la Cour conclut que les documents ont été divulgués par inadvertance, elle doit poursuivre son examen en se demandant si les renseignements que l’on veut protéger satisfont au critère de l’article 38.

[190]   Notre Cour a déjà jugé que la communication par inadvertance de renseignements faisant l’objet d’une revendication de privilège en vertu de l’article 38 n’emporte pas renonciation (décision Khawaja, précitée, au paragraphe 111; Khadr d’avril 2008, précitée, aux paragraphes 40 à 42 et 114 à 118; Arar, précitée, aux paragraphes 56 et 57). Les défendeurs tentent également d’établir une distinction entre ces affaires en faisant valoir qu’aucune ne portait sur une situation dans laquelle la divulgation avait eu lieu au cours d’une instance introduite devant une cour supérieure provinciale et en ajoutant que la compétence de la Cour fédérale n’y était pas contestée. Dans l’affaire Arar, la Cour se penchait sur une procédure s’étant déroulée devant une commission d’enquête fédérale. Toutefois, les affaires Khawaja et Khadr se rapportaient toutes les deux à la demande principale soumise à la Cour supérieure de justice. L’affaire Khawaja est celle qui est la plus pertinente, parce qu’elle concernait la production par inadvertance de la défense en réponse aux obligations de divulgation de la Couronne. Dans l’affaire Khadr, le document en question avait été communiqué à un journal, ce qui soulevait la question de la liberté de presse garantie par la Charte.

[191]   J’accepte l’argument du demandeur suivant lequel la preuve révèle qu’une série d’erreurs ont été commises au cours du processus interne d’examen et de caviardage du gouvernement ainsi que lors de la préparation de la version électronique définitive des documents qui ont été envoyés aux défendeurs. Les mesures prises par l’avocat du demandeur pour aviser l’avocat des défendeurs et pour donner un avis officiel au procureur général, lorsque l’erreur a été découverte, sont également incompatibles avec une divulgation par inadvertance. Je conclus donc que la divulgation n’était pas délibérée et que les circonstances de la communication des renseignements en question n’emportent pas renonciation au privilège revendiqué. Les renseignements en cause qui se trouvent dans le document 171 sont par conséquent assujettis à la même analyse en trois étapes que les autres renseignements en litige (arrêt Khadr, 2008 CSC 28, précité, au paragraphe 40).

[192]   La pertinence des renseignements expurgés de ce document n’est pas contestée, hormis quelques numéros de dossiers et d’autres détails administratifs mineurs. Malgré les plus récentes suppressions de caviardage, les passages expurgés portent encore sur des renseignements dont la communication est refusée et qui, selon le commissaire Iacobucci, devraient être divulgués au public. Le Supplément au rapport public divulgue une grande partie des renseignements expurgés, mais pas la totalité. Et le rapport n’est pas admissible en preuve. Les passages qui sont encore caviardés ont été analysés dans les témoignages et les arguments entendus à huis clos. Il s’ensuit que je ne suis pas convaincu que la divulgation de certains des passages expurgés du document causerait un préjudice. En ce qui concerne d’autres passages, je suis convaincu que les défendeurs ont démontré que l’intérêt public milite en faveur de leur divulgation.

CONCLUSION

[193]   Pour examiner les renseignements que le procureur général cherche à protéger, je me suis demandé : a) si les renseignements étaient pertinents par rapport aux instances principales; b) si le demandeur s’était déchargé du fardeau qui lui incombait de démontrer que la divulgation des renseignements causerait un préjudice compte tenu des éléments de preuve factuels et suivant la norme de la décision raisonnable; c) si je concluais que l’existence d’un préjudice avait été établie, si les défendeurs s’étaient acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer que l’intérêt public à ce que les renseignements soient divulgués l’emportait sur l’intérêt public à ce qu’ils ne le soient pas.

[194]   Dans l’ensemble, je suis convaincu que les renseignements expurgés sont pertinents en ce qui concerne les actions civiles principales. Ceux que je ne considère pas comme pertinents portent surtout sur des détails administratifs. En ce qui concerne certains des renseignements expurgés, je suis convaincu que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer l’existence d’un préjudice. Une ordonnance de divulgation des renseignements sera donc prononcée, sous réserve de toute autre revendication de privilège que le demandeur peut faire valoir devant le tribunal de première instance. Lorsque le préjudice a été établi, je me suis demandé si les défendeurs avaient démontré que l’intérêt public militait en faveur de la divulgation. Après avoir conclu que les renseignements en question devaient effectivement être produits, j’ai cherché à savoir si le préjudice pouvait être neutralisé au moyen de la divulgation de ces renseignements sous forme de résumé ne révélant pas des renseignements particulièrement sensibles comme le nom de représentants ou d’organismes étrangers.

[195]   Le résultat de ces décisions est exposé dans le tableau joint à l’ordonnance à titre d’annexe A qui a été communiqué au demandeur conforment à l’alinéa 38.02(2)b) de la Loi. Les renseignements dont la divulgation est ordonnée seront communiqués aux défendeurs à l’expiration du délai d’appel accordé au demandeur à l’article 38.09 et, si une demande d’autorisation de pourvoi est présentée à la Cour suprême du Canada, à l’article 38.1 [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43] de la Loi. Comme la Loi n’est pas claire à ce sujet, j’ai également précisé dans l’ordonnance que le délai imparti aux défendeurs pour interjeter appel commencera à courir à la date à laquelle les renseignements leur seront divulgués, et ce, évidemment, sous réserve de tout autre délai d’appel que la Cour d’appel fédérale peut juger approprié d’accorder en vertu de l’article 38.09 de la Loi.

[196]   Je tiens à exprimer ma gratitude envers les intervenants désintéressés et les avocats du procureur général pour les efforts soutenus qu’ils ont déployés pour aider la Cour à se prononcer sur les aspects ex parte et à huis clos de la présente demande. Je remercie également les avocats des défendeurs pour les observations introductives et finales utiles qu’ils ont formulées malgré les difficultés auxquelles ils étaient confrontés du fait qu’ils devaient aborder des questions sans avoir pu bénéficier des lumières que leur aurait apportées une divulgation intégrale des renseignements se trouvant en la possession du gouvernement.

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