[2022] 3 R.C.F. F-16
Aliments et Drogues
Sujets connexes : Santé et bien-être social; Pratique ; Droit constitutionnel; Droit administratif
Demande de contrôle judiciaire de 96 décisions rendues par un représentant de la ministre de la Santé mentale et des Dépendances et ministre associée de la Santé (défenderesse) refusant des demandes d’exemption au titre du paragraphe 56(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19 (exemption prévue à l’article 56) — L’ensemble des 96 décisions contestées concernaient des demandes d’exemption au titre de l’article 56 présentées par des professionnels de la santé détenant des compétences diverses — Il s’agissait notamment de médecins, de psychologues, de membres de la profession infirmière, de travailleurs sociaux, de conseillers et d’autres professionnels de la santé réglementés — Les professionnels de la santé souhaitaient obtenir une exemption pour la même raison, à savoir l’autorisation de posséder et de consommer des champignons crus à psilocybine dans le cadre de leur propre formation professionnelle sur la psychothérapie combinée à la psilocybine — La psychothérapie combinée à la psilocybine est une forme de psychothérapie qui comprend des séances de traitement au cours desquelles le patient consomme une dose thérapeutique de psilocybine sous la supervision d’un praticien qualifié — Les demandes des professionnels de la santé au titre de l’exemption prévue à l’article 56 indiquaient que, pour obtenir des résultats optimaux, les praticiens compétents devaient avoir vécu les effets de ces médicaments psychédéliques avant de les utiliser pour traiter leurs patients — L’objectif d’une formation sur le traitement à la psilocybine est d’accroître la compréhension qu’ont les professionnels de la santé de ce traitement afin de mieux aider leurs patients — La psilocybine est un hallucinogène et une substance contrôlée en vertu de la Loi, laquelle interdit la possession de psilocybine, sauf dans les cas autorisés par le Règlement — Toutefois, la Loi permet à la défenderesse d’autoriser une exemption des interdictions, si elle est d’avis que cette exemption est nécessaire à des fins médicales ou scientifiques ou autrement dans l’intérêt public — La demande de contrôle judiciaire comptait 82 demandeurs : 73 étaient des professionnels de la santé dont le refus de la demande d’exemption prévue à l’article 56 était contesté; les 23 autres décisions contestées concernaient le refus de demandes d’exemption prévue à l’article 56 présentées par des professionnels de la santé n’étant pas partie à l’instance — Le demandeur TheraPsil est un organisme sans but lucratif de défense des patients qui aide les Canadiens ayant des besoins médicaux à accéder légalement à la psychothérapie combinée à la psilocybine — Les autres demandeurs en l’espèce étaient des particuliers qui ont communiqué avec TheraPsil pour être évalués et recevoir la psychothérapie combinée à la psilocybine — La défenderesse a refusé toutes les demandes d’exemption prévue à l’article 56 pour les mêmes motifs; elle a déterminé que l’exemption prévue à l’article 56 n’était pas nécessaire à des fins médicales ou scientifiques et n’était pas non plus dans l’intérêt public, car il existait une autre option en vertu du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870 (RAD), à savoir l’autorisation d’obtenir une drogue contrôlée aux fins d’un essai clinique — Les décisions soulignaient l’opinion de TheraPsil selon laquelle cette option réglementaire n’était pas appropriée et ne protégerait pas l’intérêt supérieur des professionnels de la santé — Les demandeurs ont notamment fait valoir que les décisions de la défenderesse étaient déraisonnables; que la défenderesse n’avait pas pris en compte les arguments principaux et la preuve, dont celle fournie par le Bureau des essais cliniques (BEC) de Santé Canada selon laquelle il n’était pas possible de réaliser l’essai clinique du programme de formation de TheraPsil; que la défenderesse avait présenté des motifs incompréhensibles et obscurs pour étayer ses décisions; et qu’elle n’avait pas examiné ni sérieusement considéré les arguments de fond — Les demandeurs ont demandé à la Cour d’annuler l’ensemble des 96 décisions et d’ordonner à la défenderesse d’accorder des exemptions aux professionnels de la santé, leur permettant ainsi de posséder et de consommer de la psilocybine pour une formation pratique sur la psychothérapie combinée à la psilocybine — La défenderesse a fait valoir que les demandeurs n’ont pas démontré que les décisions en cause étaient déraisonnables et a affirmé que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée; que l’article 56 de la Loi confère un vaste pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de refuser une exemption; et que les demandeurs n’ont pas établi qu’il y avait des erreurs justifiant une modification des décisions — Il s’agissait principalement de déterminer si les décisions de la défenderesse étaient déraisonnables, et dans l’affirmative, quelle était la voie de recours appropriée — Les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une erreur susceptible de révision en invoquant le fait que la défenderesse n’avait pas examiné les arguments sur la pertinence de l’essai clinique — La défenderesse a dûment examiné les arguments — La défenderesse avait pour mandat de déterminer si l’exemption prévue à l’article 56, qui permettrait aux professionnels de la santé de posséder et de consommer de la psilocybine dans le cadre de leur formation avec TheraPsil, était nécessaire à des fins médicales ou scientifiques ou autrement dans l’intérêt public — La défenderesse a conclu que l’exemption n’était pas nécessaire parce que les professionnels de la santé disposaient d’une autre option en vertu du RAD (à savoir, la participation à un essai clinique), que la défenderesse considérait comme une option réglementaire possible — Les arguments des professionnels de la santé selon lesquels l’essai clinique ne serait pas opportun, éthique, ni compatible avec les objectifs de formation supposaient que la formation pratique était nécessaire, ce qui n’a pas été établi par la preuve — Il était loisible à la défenderesse d’en conclure ainsi et le dossier appuyait cette décision — TheraPsil ne joue aucun rôle dans la réglementation des professionnels de la santé ni dans l’octroi de leurs permis — Les médecins, les psychologues, les membres de la profession infirmière, les travailleurs sociaux, les conseillers et les autres professionnels de la santé réglementés qui ont soumis une demande d’exemption reçoivent leur permis d’exercice de leur organisme de réglementation respectif — Le degré d’implication de chaque professionnel de la santé dans l’administration aux patients d’une psychothérapie combinée à la psilocybine est limité par ses compétences et les services de santé qu’il est autorisé à fournir — La défenderesse n’a pas omis d’examiner l’argument selon lequel l’étude clinique nuirait aux objectifs de formation; elle a conclu que la preuve soumise n’étayait pas l’objectif de formation qui consistait à consommer une drogue hallucinogène afin de bien comprendre les expériences vécues par le patient — En résumé, les décisions fournissaient une réponse complète aux arguments selon lesquels l’essai clinique ne convient pas à la formation du thérapeute; la défenderesse n’était pas tenue de se pencher sur chaque argument des professionnels de la santé séparément — En outre, l’évaluation de la preuve qu’a faite la défenderesse ne contenait aucune erreur — Les déclarations de la défenderesse sur la formation pratique étaient transparentes et intelligibles et justifiaient ses décisions — Les demandeurs n’ont pas établi que la défenderesse s’était méprise sur la nature ou la qualité de la preuve à l’appui de la position de TheraPsil à l’égard de la formation pratique — La défenderesse n’a pas mal défini les éléments de preuve en les qualifiant d’expériences anecdotiques et d’opinions de professionnels de la santé — La défenderesse a correctement interprété les éléments de preuve — La défenderesse ne s’est pas écartée de la jurisprudence interne sans justification — L’exemption prévue à l’article 56 de la Loi relève d’un pouvoir discrétionnaire s’appliquant en fonction des faits — Les exemptions précédemment accordées à des praticiens ne correspondent pas à une autorité interne établie ni à une pratique de longue date — La défenderesse n’a pas conclu de manière déraisonnable que l’exemption prévue à l’article 56 créerait des risques inacceptables et ne s’est pas déraisonnablement écartée de ses décisions antérieures accordant l’exemption prévue à l’article 56 aux praticiens — En ce qui concerne la Charte canadienne des droits et libertés, les demandeurs ont soutenu en particulier que les décisions mettaient en jeu les droits des professionnels de la santé et des patients à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne garantis par l’article 7 de la Charte — Les décisions de la défenderesse refusant d’accorder l’exemption prévue à l’article 56 aux professionnels de la santé ne mettaient pas en cause les droits de ces derniers ou des patients en vertu de la Charte — Le fondement des arguments fondés sur la Charte n’était pas étayé par la preuve présentée à la défenderesse et à la Cour — La preuve n’établissait pas que les professionnels de la santé avaient besoin d’une formation pratique ni qu’ils devaient consommer une drogue hallucinogène pour comprendre ce que le patient ressent — De même, la preuve n’établissait pas que les patients potentiels qui suivent une thérapie combinée à la psilocybine doivent être traités ou assistés par des médecins, des thérapeutes, du personnel infirmier ou d’autres praticiens qui ont vécu les effets d’une drogue hallucinogène — Les décisions ont démontré que la défenderesse a raisonnablement et proportionnellement maintenu l’équilibre entre les valeurs de la Charte et les objectifs de la Loi; les décisions étaient donc conformes aux principes de la justice fondamentale — Les décisions refusant les demandes des professionnels de la santé pour obtenir des champignons à psilocybine aux fins de formation n’étaient ni arbitraires, ni excessives, ni manifestement disproportionnées par rapport aux objectifs de la Loi — Par conséquent, la défenderesse n’a pas refusé les demandes d’exemption des professionnels de la santé par l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire incompatible avec les valeurs protégées par la Charte — Il n’était pas nécessaire d’examiner la voie de recours appropriée — Cependant, contrairement à l’argument des demandeurs, le recours approprié n’aurait pas été d’ordonner à la défenderesse d’octroyer l’exemption — Lorsque la décision est jugée déraisonnable, l’affaire doit être renvoyée au décideur pour qu’il revoie la décision — La présente demande ne contenait aucun scénario justifiant que la Cour y substitue sa propre décision — Demande rejetée.
Toth c. Canada (Santé mentale et Dépendances) (2023 CF 1283, T-1424-22, juge Pallotta, motifs du jugement en date du 25 septembre 2023, 47 p.)