[2022] 4 R.C.F. F-3
Droit constitutionnel
Droits ancestraux ou issus de traités
Sujets connexes : Peuples autochtones, Couronne, Pêches, Pratique
Entente de réconciliation et de reconnaissance des droits sur les pêches — Requête déposée par le défendeur Listuguj Mi’gmaq Government (le LMG), en vue de faire radier l’avis de demande de contrôle judiciaire présenté par les demandeurs en vue de faire invalider l’Entente de réconciliation et de reconnaissance des droits sur les pêches (l’Entente) intervenu entre la Première Nation et la Couronne fédérale — Dans une seconde requête, les demandeurs sollicitaient, aux termes des règles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, la communication de documents supplémentaires auprès des ministres défendeurs, y compris une annexe financière à l’Entente ainsi que des mémoires et courriels internes liés aux efforts de réconciliation et à la gestion d’une zone précise de pêche au homard — L’avis de demande de contrôle judiciaire principal soulevait quatre questions fondamentales — Les demandeurs ont affirmé que ces questions méritent d’être examinées sur le fond dans le cadre d’une audience en bonne et due forme — La mesure et les conditions dans lesquelles les peuples autochtones du Canada atlantique ont accès aux pêches sont source de controverses et de litiges depuis de nombreuses années — Le contexte moderne entourant l’élaboration de l’Entente prend forme dans les décisions rendues par la Cour suprême dans les arrêts Marshall — Dans les arrêts Marshall, la Cour suprême a reconnu que les Mi’kmaq signataires aux Traités de paix et d’amitié de 1760-1761 avaient certains droits de pêche, issus de traités, garantis par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 — La publication des arrêts Marshall a déclenché une série d’événements — Les faits les plus pertinents en lien avec le présent litige comprennent des efforts stratégiques déployés par le gouvernement fédéral pour faire de la place aux Premières Nations afin qu’elles puissent pêcher à des fins alimentaires, culturelles et cérémonielles, et les intégrer aux pêches commerciales existantes, et une action intentée par le LMG afin de clarifier l’étendue de l’exercice des droits issus de traités — Une entente-cadre (l’Entente-cadre) a été signée en 2018 — L’Entente confirme la reconnaissance, par le Canada, du fait que le LMG détient certains droits ancestraux et issus de traités en matière de gouvernance des pêches et de pêche qui sont protégés par l’article 35 — Une partie de l’Entente porte essentiellement sur les mécanismes visant à prévenir ou à régler les litiges relatifs à l’accès aux pêches par le LMG ainsi qu’à l’application des lois et politiques fédérales concernant les pêches — En l’espèce, il s’agissait principalement de déterminer si l’avis de demande devrait être radié, et si la communication de documents supplémentaires devrait être ordonnée — L’arrêt de principe portant sur le critère relatif aux requêtes en radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale est JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557 — Selon le cadre énoncé dans l’arrêt JP Morgan, il faut d’abord examiner l’avis de demande afin d’obtenir une appréciation réaliste de sa nature essentielle — Les demandeurs contestent essentiellement trois choses principales dans l’avis de demande : 1) l’approche fondée sur la reconnaissance des droits; 2) les pouvoirs des ministres et la délégation prétendument illégale des pouvoirs ainsi que la restriction qui serait imposée au pouvoir du ministre des Pêches et des Océans de réglementer les pêches; et 3) le processus par lequel l’Entente a été conclue — L’objectif ultime des demandeurs était d’obtenir une déclaration invalidant l’Entente — De son côté, le LMG a soutenu que la contestation dans son ensemble était politique plutôt que juridique et que tous les arguments des demandeurs étaient voués à l’échec — L’allégation des demandeurs selon laquelle les ministres ont outrepassé leurs pouvoirs en concluant une entente fait abstraction du fait que les ministres ont signé l’Entente au nom de la Couronne fédérale, et ils se sont fondés sur une interprétation erronée de la jurisprudence — Peu importe les pouvoirs précis attribués par la loi aux ministres, il ne fait aucun doute que ces derniers étaient autorisés à agir au nom de la Couronne du chef du Canada et que la Couronne fédérale avait le pouvoir de conclure une entente avec le LMG relativement aux droits ancestraux et issus de traités — Le deuxième problème majeur que renferme l’allégation des demandeurs à cet égard concernait la portée du pouvoir de la Couronne de reconnaître les droits ancestraux et issus de traités et d’y donner effet — Le libellé de l’article 35 prévoit que « [l]es droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés » — La Constitution « reconnaît » et « confirme » ces droits, et l’approche fondée sur la reconnaissance des droits qui était contestée par les demandeurs est conforme au libellé de la disposition — Le droit établit très clairement que l’article 35 protège les droits n’ayant pas encore été reconnus ou confirmés par un tribunal — L’obligation de la Couronne de chercher des solutions négociées aux différends en matière de droits ancestraux ou issus de traités revêt une dimension constitutionnelle qui fait intervenir le concept de l’honneur de la Couronne — Le fait d’imposer une restriction préalable à l’étendue du pouvoir de la Couronne de négocier tant et aussi longtemps que les droits n’ont pas été formellement établis par un tribunal va à l’encontre de cette idée — La délimitation des droits et obligations réciproques, avant qu’ils aient été formellement établis par un tribunal, constitue un élément constant dans les ententes intervenues entre la Couronne et les peuples autochtones — Les demandeurs n’ont pas démontré pourquoi il faudrait maintenant revenir en arrière — La contestation, par les demandeurs, de l’approche fondée sur la reconnaissance des droits est contraire aux nombreuses affaires où les tribunaux ont préconisé une approche négociée plutôt qu’un recours judiciaire — À la lecture de l’Entente et de l’Entente-cadre, aucun pouvoir ministériel n’a été délégué, que ce soit entre les deux ministres défendeurs ou entre l’un d’eux et le LMG — Les pouvoirs de gestion reconnus par l’Entente sont limités aux pêches du LMG — En ce qui concerne les allégations portant sur le processus, les demandeurs ont contesté le fait qu’ils n’ont pas été consultés au sujet des négociations ayant mené à l’Entente, et ils affirment que la ministre des Pêches et des Océans aurait dû publier les modalités de l’Entente dans la Gazette du Canada avant qu’elle ne soit finalisée, puis une autre fois après sa signature — L’argument concernant le défaut de publier l’ébauche d’entente dans la Gazette du Canada n’avait aucun fondement — Les droits ancestraux et issus de traités du LMG sont complètement différents des droits revendiqués par les demandeurs — Toutefois, l’argument des demandeurs sur ce point ne reposait pas nécessairement sur une quelconque fausse équivalence — La jurisprudence confirme que les droits garantis par l’article 35 sont exercés dans le contexte d’une société plus large et qu’il y aura souvent de la concurrence pour avoir accès à une ressource limitée — La portée des droits reconnus par les arrêts Marshall a fait l’objet de litiges, mais n’a pas été tranchée définitivement — Le gouvernement fédéral savait que les personnes représentées par les demandeurs avaient des intérêts dans la pêche et à l’égard des décisions qui pourraient avoir une incidence sur la répartition des ressources ou accroître l’accès aux ressources pour certains pêcheurs — Les droits précis protégés par l’article 35 sont ancrés dans l’histoire d’un groupe particulier, souvent limité à un lieu précis (désigné par les pratiques historiques ou les modalités du traité), et ils doivent être revendiqués et prouvés avant que le tribunal puisse les reconnaître et les protéger — Le LMG a mal interprété la nature essentielle de l’allégation des demandeurs concernant le processus — La nature essentielle de l’allégation des demandeurs concernant le processus est qu’il n’a pas encore été déterminé en droit dans quelle mesure le gouvernement doit consulter et inclure les personnes non autochtones ayant un intérêt dans l’affaire avant de conclure une entente qui reconnaît ou met en œuvre des droits ancestraux ou issus de traités garantis par l’article 35, qui n’ont pas encore été confirmés par les tribunaux — L’analyse exposée dans la decision Potlotek First Nation v. Canada (Attorney General), 2021 NSSC 283 présente certains parallèles avec les éléments qui sont d’intérêt dans la présente affaire — On peut se demander s’il existe des aspects procéduraux à l’obligation imposée aux gouvernements de tenir compte des intérêts des titulaires de droits autochtones et des autres personnes qui utilisent la ressource ou en dépendent lorsqu’ils prennent des décisions sur la répartition — La question de savoir si la Couronne fédérale a l’obligation de consulter les personnes ou groupes non autochtones qui participent à la pêche demeure entière — L’allégation des demandeurs concernant le processus n’est pas inévitablement vouée à l’échec — Certains éléments de l’avis de demande ont été radiés, dont la contestation de l’approche fondée sur la reconnaissance de droits, et la contestation visant la délégation illégale de pouvoirs — Toutefois, l’allégation des demandeurs concernant le processus n’a pas été radiée à cette étape — La règle 317 ne s’applique pas, et les demandeurs n’ont pas démontré que l’un ou l’autre des documents demandés est nécessaire pour permettre à la Cour de procéder au contrôle judiciaire — Leur requête en vue d’obtenir des documents d’information et des rapports n’était pas assez précise pour répondre aux exigences de la règle 317 et constituait plutôt une recherche à l’aveuglette inadmissible — Aucun de ces documents n’était nécessaire pour trancher la demande des demandeurs, et ceux-ci allaient bien au-delà du genre de documents qui serait nécessaire et pertinent selon une lecture même généreuse de leurs actes de procédure — En conclusion, bien que les demandeurs aient tenté de formuler plusieurs allégations inédites, une seule sera examinée — L’allégation des demandeurs concernant le processus n’était pas totalement vouée à l’échec et n’a donc pas été radiée — Requête en radiation accueillie en partie; requête en vue d’obtenir des renseignements supplémentaires rejetée.
Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie c. Premières Nations de Listuguj Mi’gmaq (T-1608-21, 2023 CF 1206, juge Pentney, motifs publics de l’ordonnance en date du 5 octobre 2023, 75 p.)